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Quels rapports de force entre le public et les firmes ?

3 min de lecture

Les dispositifs de coproduction et de co-innovation induisent de nouvelles relations entre les consommateurs et les entreprises.

A la différence d’un investisseur de long terme mettant en œuvre une stratégie au long de son implication auprès de l’entreprise, l’usager s’engage généralement de manière plus distanciée par rapport à une firme et ne peut donc pas être considéré, en adoptant ce prisme, au même titre qu’un producteur professionnel.

Si l’acte de coproduction ou de co-conception d’un bien ou d’un service peut s’apparenter à l’affectation de marges de liberté supplémentaires pour le public, qui peut ainsi exprimer une opinion, contribuer à façonner le produit de son choix ou s’affranchir du recours à un tiers afin de gagner du temps, il peut également approximer une nouvelle forme de rapports entre le consommateur et le producteur.

Dans Le sacre de l’amateur, Patrice Flichy se concentre sur des formes d’engagement volontaires de la part d’amateurs notamment désireux d’être reconnus, d’apprendre au contact de professionnels, et d’échanger avec leurs pairs au sein de communautés plus ou moins larges. Cette marge de manœuvre laissée aux usagers est, selon l’analyse de Marie-Anne Dujarier, contrecarrée par l’existence de dispositifs exerçant une contrainte sur l’utilisateur de façon à ce qu’il contribue de manière obligatoire à la production d’un produit.

Le sociologue Jean Baudrillard a expliqué en 1970, dans La société de consommation (1), que « l’abondance » s’inscrit dans l’héritage légué à la population alors étudiée, avec la peur de manquer de quelconques ressources comme en avaient pu pâtir la génération précédente. Par leur participation – souhaitée ou non – accrue aux travaux des entreprises, les sujets sont impliqués dans un mouvement reflétant la convergence des intérêts des consommateurs et des firmes sur un nombre certain d’éléments, ainsi que la possible emprise qu’exerce cette deuxième catégorie d’acteurs sur les premiers.

Bienvenue dans l’ère des « cliemployés »

Alexandra Perronet, doctorante en Sciences de l’information et de la communication, défendait en 2006, avant la parution de l’ouvrage de Marie-Anne Dujarier et sur un ton plus polémique, une thèse selon laquelle l’acte de consommation ne relève pas d’une liberté offerte au citoyen (2) mais d’un moyen de production.

Dès lors, l’hypothèse selon laquelle l’usager peut, de son propre chef, prendre part à une politique entrepreneuriale se rapproche d’une « aliénation » effectuée avec l’assentiment des personnes incriminées. Employant l’expression de « cliemployés », Perronet explique que le client et le salarié ne font plus qu’un, et que les salariés des firmes adoptent un comportement consumériste envers leur employeur.

« La consommation devient alors un mode de régulation sociale, où le consommateur se mue en co-producteur de sa consommation », explique Perronet, qui s’appuie sur les travaux de Robert Castel (3) pour ancrer son analyse dans le débat sur la place de la consommation dans la société. Ainsi, la participation du consommateur à la création d’un produit ou d’un service ne relèverait pas d’un choix uniquement guidé par des valeurs ou un aspect utilitaire, mais par la nécessité de s’inscrire dans un collectif, et de ne pas dériver des habitudes des groupes au sein desquels appartient l’individu en question.

Directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) de 1995 à 2009, Robert Rochefort a proposé en 1996, dans La société des consommateurs (4), une analyse reliant également l’acte de consommation à des enjeux sociétaux. Pour lui, le service « socialisé », dans les cas où il prend la place de l’autoproduction effectuée en famille ou à titre personnel, engendre une dépendance envers autrui : la participation à la production de biens et de services peut être rattachée à la dette qu’expriment des consommateurs envers la société. La nature de cet engagement est toutefois sujette à polémique, la frontière entre l’expression d’une opinion ou d’aspirations et une prestation de travail pour une entreprise étant parfois ténue.

La curiosité et la méfiance peuvent donc s’exercer simultanément lorsque des utilisateurs contribuent aux dispositifs de co-innovation d’entreprises, le rapport de force exercé par ces dernières pouvant conditionner l’attitude et le niveau d’engagement exercé par leurs clients.


(1) BAUDRILLARD J. (1970), La société de consommation, Paris : Denoel
(2) PERRONET A. (2006), « Exploitation du consommateur et aliénation du client. La sphère domestique comme espace de création de valeur économique et symbolique », Articulo – Journal of Urban Research, n°2
(3) CASTEL R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris : Fayard
(4) ROCHEFORT R. (1996), La société des consommateurs, Paris

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