L’échec des politiques d’aide au développement élaborées par les ONG et les institutions occidentales ouvre la voie aux initiatives des entreprises auprès des populations les moins favorisées. Pas moins de 4 milliards de personnes sont à rapprocher du circuit économique conventionnel.
Si le déficit des pays en développement pourrait atteindre cette année les 700 milliards de dollars, comme le relate la Banque Mondiale, la population de ces Etats n’en constitue pas moins un vivier de potentiels humains et économiques, une donnée essentielle à l’heure où l’Occident traverse une crise sans précédent.
« Dans les marchés émergents, de nombreux consommateurs sont épargnés par la crise. Ils n’habitent pas dans les villes, n’ont pas le même pouvoir d’achat que la classe moyenne urbaine, mais leurs revenus augmentent. Et leur consommation ne faiblit pas », indique au Monde Jaideep Prabhu, professeur à l’université de Cambridge. « Les leviers de croissance du futur se trouvent auprès de ces consommateurs que l’on avait négligés parce qu’ils ne font pas partie de la classe moyenne », complète-t-il. En plein marasme économique et social, ce spécialiste de la mondialisation propose une piste non-négligeable : pour entretenir la croissance, et si on tendait la main aux plus pauvres ?
Au-delà des pays émergents dont on connaît la vitalité – l’Inde et la Chine devraient enregistrer une progression de leur PIB de respectivement 8 et 9,9 % cette année -, ce sont les quatre milliards de personnes vivant avec moins de 1,5 dollar par jour qui constituent une impressionnante opportunité économique et sociale. Les ONG, qui sont passées depuis les années 1980 d’une logique d’aide à un statut d’opérateurs de bailleurs de fonds, semblent naturellement placées pour jouer les premiers rôles.
Mais leur action est désormais remise en question par de nombreux observateurs, qui soulignent l’échec de nombreuses politiques de développement : leur certaine déconnexion du contexte économique et social dans lequel elles évoluent et la difficile transposition de politiques élaborées dans les pays occidentaux ont entâché leur image. Il en est de même pour de multiples institutions internationales. On peut constater que le développement économique provient essentiellement de pays qui ont peu ou prou fait l’objet de ces politiques d’aide.
Réconcilier l’économie et le social
Ce sont donc des initiatives locales et le monde de l’entreprise qui semblent à même de ramener les plus pauvres vers le circuit économique conventionnel. Le Crédit Agricole ne s’y est pas trompé, en créant une fondation avec la Grameen Bank, l’établissement de microcrédit du prix Nobel de la Paix Mohammad Yunus. Selon les chiffres de cette nouvelle organisation, l’encours de crédit de la microfinance atteint aujourd’hui 30 milliards de dollars, et enregistre un taux de croissance de 30 % par an. Le principe est de prêter des petites sommes pour de courtes durées à des populations pauvres. Et contrairement aux idées reçues, les taux de remboursement sont exceptionnels ! L’initiative a été transposée aux pays occidentaux : en France, l’Association pour le droit à l’initiative économique a accordé l’an dernier 13.000 microcrédits à des individus en retrait du système bancaire.
Ces prêts sont l’occasion de générer de la richesse auprès de populations exclues du système économique, mais la consommation constitue aujourd’hui le principal enjeu. De nombreuses firmes occidentales, soit par l’intermédiaire de fondations, soit en pénétrant directement dans les marchés, s’y sont essayé avec plus ou moins de succès. Chez Danone, le but était au Bangladesh de produire un yaourt enrichi en nutriments, acheté et revendu par des femmes qui percevaient une commission. L’initiative sociale, en lien avec Grameen, doublé d’une visée économique, a tourné court en raison des difficultés à fidéliser la population et d’un trop grand accroissement du coût de fabrication.
Essilor semble en revanche avoir trouvé une formule plus adaptée : en Inde, les lunettes – dont les verres sont produits sur place -, sont vendues depuis des véhicules sans intermédiaire, une importante demande. L’équilibre financier est d’ores et déjà en vue. L’entreprise apporte une réponse adaptée et conquiert de nouveaux marchés : le double objectif social et économique semble en passe d’être rempli.
Mais l’intervention entrepreneuriale ne provient pas uniquement de l’extérieur : ainsi, en Afrique du Sud, c’est l’opérateur local Dabba Telecom, pur produit local, qui contribue à démocratiser l’accès à Internet. Des centaines de personnes sortent de l’isolement généré par le manque de moyens de télécommunications. Lorsque les buts financiers s’accompagnent d’une visée d’aide, l’économie ne peut qu’en ressortir grandie…