La multiplication des périodes de soldes et de promotions fait perdre la notion de prix de référence. Les consommateurs sont de plus en plus méfiants par rapport aux pratiques des distributeurs.
Le succès mitigé des premiers soldes flottants, instaurés par la Loi de modernisation de l’économie, sonne-t-il le glas des promotions quasi-permanentes ? Les enseignes ont réagi diversement à cette nouvelle opportunité de vente à perte et de création de trafic, la Fédération nationale de l’habillement s’opposant fermement à ce nouvel outil. Il s’agissait pourtant, selon le secrétaire d’Etat à la Consommation Luc Chatel, de « réveiller le commerce, créer les conditions de l’animation commerciale », mais cette nouvelle période de soldes relance le débat sur le réel niveau des prix.
Les commerçants en font chaque année le constat : le mois précédant les soldes est désastreux pour les ventes, et la période de soldes permet de vendre une large palette sans gagner de l’argent. Le passage de deux à quatre fois par an de ces phases inquiète particulièrement les indépendants, désireux d’attirer de nouveaux clients mais soucieux pour leurs finances : ils ne peuvent se permettre de s’appuyer sur tout un réseau. Les soldes, qui représentaient 5 % des ventes de textile en 1970, en constituent désormais le quart !
Parallèlement à ce dispositif, l’étalement continu des périodes de promotions et l’extraordinaire galerie marchande ouverte par Internet plongent le consommateur dans un univers de prix bas ou abaissés constant, où la comparaison entre enseignes est facilitée par les nouvelles technologies. Les variations de tarifs, afin de compenser les périodes de « prix chocs », induisent un yo-yo constant sur les étiquettes : le prix de référence devient de facto dévoyé de son sens.
Le développement massif des dispositifs de fidélisation contribue aussi à cette incertitude généralisée sur les prix standards des produits. En 2004, attaqué de toutes parts par le hard-discount et soucieux de restaurer son image tarifaire, Carrefour, au lieu de promettre un effort sur les prix – ce que les clients ont du mal à assimiler, compte tenu de la concurrence -, a lancé sa carte de fidélité, permettant la réception d’un chèque mensuel à domicile : l’objectif n’est plus d’être le moins cher, mais de promettre une offre de pouvoir d’achat. E.Leclerc l’avait précédé avec son Ticket. Depuis, les distributeurs ont poursuivi ces programmes, mêlant bons d’achat et offres promotionnelles en magasin : ainsi, une large majorité des achats ne s’effectue pas à son prix classique ou catalogue, mais subventionné.
La méfiance s’installe vis-à-vis des distributeurs
Ces pratiques sont aujourd’hui remises en question par les consommateurs eux-mêmes, de plus en plus méfiants par rapport au discours des enseignes. Une enquête menée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) fait ressortir que les consommateurs jugent les prix « injustes ». Pour son directeur Robert Rochefort, qui s’apprête à quitter son poste, « le prix des soldes est de plus en plus envisagé comme le prix juste. Quant au prix catalogue, il n’inspire plus confiance. Les industriels établissent leur rentabilité par rapport au prix d’en dessous, qui devient la référence. Mais ce système de prix ne rassure pas le consommateur. Il est perturbé, alors que le prix est censé être un repère ». Il s’exprimait récemment dans La Croix.
L’étude du Crédoc met en lumière les réactions des consommateurs vis-à-vis des pratiques des commerçants, et plus particulièrement de la grande distribution. Deux Français sur trois estiment qu’ils réalisent de bonnes affaires dans le cadre des opérations de promotions, mais 72 % d’entre eux se demandent si le prix habituel des produits est juste, puisque les enseignes sont en mesure de l’abaisser à de multiples reprises. Signe de la méfiance des consommateurs envers leurs supermarchés et hypermarchés, plus de 70 % des répondants jugent les marges pratiquées par les distributeurs alimentaires injustes, et 18 % totalement injustes : l’alternance de périodes d’abaissement des prix et de retour aux prix catalogue jette le discrédit sur les enseignes, suspectées à ces moments-là de littéralement s’engraisser sur le dos de leurs clients.
Derniers chiffres en date sur ce va-et-vient des prix : les prix des marques nationales ont reculé de 0,38 % entre 2008 et 2009, selon l’Observatoire mis en place par le ministère de l’Economie. Pendant ce temps-là, les hard-discounters, qui déclarent pratiquer les prix les plus bas possibles, ont en moyenne accrus leurs tarifs de 13 %, selon l’UFC-Que Choisir. La perception des consommateurs sur ces changements est quasi-nulle. Signe que les prix « de référence » ont du mal à s’imposer comme une norme acceptée de tous, alors que les textes juridiques disposent que le prix doit être déterminé et désigné par les parties…