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Maurille Larivière: “le confinement révèle notre créativité et nos capacités d’improvisation”

4 min de lecture
Peinture et étudiant en arts graphiques et design

A Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), The Sustainable Design School forme ses étudiants à l’innovation durable en intégrant les enjeux sociétales, environnementales, économiques et culturelles à son cursus.

Maurille Larivière, cofondateur et chargé de cours à Polytechnique, Mines ParisTech, l’Ecole des Ponts et Sciences Po Paris, rappelle que, dans l’enseignement du design, la période actuelle pointe aussi les limites de l’intelligence collective et encourage une nouvelle créativité plus individuelle, plus réfléchie, plus préparée. De nouvelles pratiques inspirantes pour le “monde d’après”.

TRIBUNE. « L’art naît de la contrainte et meurt dans la liberté », affirmait Michel Ange. Pour la créativité et l’innovation, Il en va de même, assurément. L’actuelle crise sanitaire engendrée par le Covid-19 et le confinement inédit de près de la moitié de la population mondiale le montrent : partout dans la société, les embûches, les difficultés, l’inconfort, s’avèrent de formidables stimulants créatifs. Ce relent de créativité, nous le constatons aussi parmi nos étudiants confinés.

Réinventer les collaborations

Mise en place dès le 13 mars, la nouvelle organisation des cours de notre école a contraint la centaine d’étudiants que compte la Sustainable Design School à réinventer totalement leur façon de travailler et de collaborer. Pas si simple de se retrouver du jour au lendemain séparés par le confinement, sans possibilité de se parler pour des étudiants rompus au travail en équipes et en mode co-construction de projets, élevés dans l’idée que le monde de demain sera fondé sur une économie du partage et sur une intelligence collective.

On s’attendait à des décrochages. A contrario, leur réaction a été rapide et incroyablement innovante. Depuis le début du confinement, c’est entre autres sur la technologie que ces millenials se sont appuyés. Cours virtuels dès le 16 mars, visio-conférences, Skype, Messenger, réseaux sociaux, les étudiants se sont emparés immédiatement de toute la panoplie des outils de communication numériques à leur portée. Sans oublier des applications comme Mural ou Miro, sortes de tableaux digitaux interactifs et partagés qui permettent, faute de pouvoir tapisser comme d’ordinaire les murs de l’école de post-it et de documents, de continuer d’organiser des notes, textes, images, fichiers, liens, et de créer des cartographies complexes.

On a constaté aussi une certaine discipline nouvelle dans la façon de s’écouter les uns les autres, et même de regarder les projets, une communication souvent plus grande qu’en présentiel. Cette réussite numérique n’est, à mon sens, possible que parce qu’il y avait déjà au préalable un bon esprit de camaraderie entre nos étudiants, déjà impliqués et solidaires avant la crise.

Réflexion individuelle et débrouillardise

En mettant fin aux habituels échanges de points de vue, discussions, travaux de groupe que les étudiants affectionnent tout particulièrement, en mettant fin aussi, disons-le, aux distractions, et aux dispersions le confinement fait naître une créativité plus individuelle et spontanée. Se retrouver seul à réfléchir devant sa feuille blanche, avant de soumettre ses idées aux autres, devoir se concentrer, tout ceci possède des vertus inestimables. Cette réflexion préalable solitaire permet de développer sa propre vision, de retrouver une indépendance de point de vue qui n’existait peut-être pas ou s’exprimait moins au sein du groupe.

On le sait bien et ceci est d’autant valable pour des étudiants en devenir : il y a un certain mimétisme qui s’installe dans un travail en équipe. Le caractère de chacun se lisse et le groupe a tendance à uniformiser les points de vue, par volonté de suivre le « mood ». Chez Renault, Patrick Le Quément en avait fait l’expérience avant de modifier cette uniformité en intégrant dans ses services une dose de designers venus d’autres secteurs.

Bien sûr, technologies ou pas, tout n’est pas simple dans cette nouvelle vie de créatifs confinés. L’absence d’interaction physique induit un certain ralentissement de l’inspiration. Ils pointent aussi la difficulté de se concentrer très longtemps, car le temps de travail, lui aussi, semble s’écouler différemment. Du coup, ce confinement est « comme une sorte de pause » pour beaucoup, un temps qui permet de réfléchir, de prendre du recul.

Enfin, ce confinement oblige nos étudiants à être plus agiles, à trouver des outils et des solutions de secours avec ce que l’on a et se recentrer sur l’essentiel. Il révèle chez certains une capacité d’adaptation et d’improvisation insoupçonnée jusque-là. Une approche qui dépasse leur simple travail créatif et touche aussi leur vie personnelle.

Le tournant, c’est maintenant !

Constater que nos étudiants, plutôt que de crier à la catastrophe et de « dévisser », réagissent vite et bien, trouvent des solutions, innovent, est plus que rassurant. Cela montre leur engagement, leur volonté d’agir et démontre qu’ils ont parfaitement compris que eux, créatifs designers au service d’un développement durable, peuvent avoir un rôle clé dans la nécessaire remise en question du fonctionnement de nos sociétés. Qu’ils doivent être l’un des moteurs de cette transition. Et que le tournant, c’est maintenant !

Pour nous aussi, fondateurs de cette école, cette crise pose questions sur l’après, sur des enseignements que nous avions beaucoup fondé jusqu’ici sur l’intelligence collective. Nous n’avions pas attendu cette crise sanitaire pour expérimenter de nouveaux comportements devant l’acte créatif, écouter les aspirations des jeunes générations, développer l’humanisme, l’empathie, l’ouverture, la sensibilité multiculturelle, la conscience et la responsabilité sociétales… Pour autant, cette crise rend encore plus évidente l’approche systémique des métiers du design que nous défendons et renforce les valeurs fondatrices de notre école durable.

« Après la crise, dans quel nouveau monde normal voulons-nous vivre ? » Avoir une approche plus « frugale » des choses ; utiliser moins de ressources, faire avec ce dont on dispose. En ce moment, nos apprentis designers sont devenus un peu comme des marins-navigateurs, qui savent embarquer le strict nécessaire, faire avec les moyens du bord, miser sur la solidarité et garder le cap dans la tempête. N’est-ce pas là, en cette situation de crise mondiale inédite, une très belle leçon de navigation qu’ils nous donnent  ?

Maurille Larivière

Les tribunes publiées sur Business & Marchés sont placées sous la responsabilité de leurs auteurs.

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