En treize ans, l’Experimental Group a bousculé l’univers du cocktail et de l’hôtellerie. Des codes qui ont largement essaimé dans la profession; des savoir-faire et des savoir-être que l’on retrouve dans de nombreux établissements. Rue Saint-Sauveur, dans le 2ème arrondissement de Paris, l’Experimental Cocktail Club, où l’aventure a commencé, est toujours présent. Flanqué d’une discrète plaque à l’entrée, ce street bar est non seulement réputé pour ses drinks, mais aussi pour la capacité à former des talents du bar. Matthew Long, manager depuis 2017 après un début de carrière en Angleterre, suivi de passages au Little Red Door et au Lulu White, nous fait part de son ressenti sur les enjeux du secteur.
Comment préparez-vous la reprise ?
Le groupe a dû s’adapter aux conditions de chaque pays où il est présent. Pour reprendre,nous irons plus longuement que les autres, mais nous essaierons de rouvrir dans les meilleures conditions. Il faut que le déconfinement soit réussi. Nous sommes en train de travailler sur l’application du protocole sanitaire. Il faut faire en sorte que les gens aient confiance pour revenir. Il ne faut pas gâcher l’ambiance, mais nous devons montrer que nous sommes professionnels.
Qu’est-ce qui fait un bon barman ?
Un bon barman, de mon point de vue, est quelqu’un qui anime le lieu, et qui a un bon rapport avec les clients et ses collègues. Il faut bien aimer étudier – il y a beaucoup de recettes de cocktails à connaître. Il faut un esprit vif, apprendre de nouvelles choses, être curieux, vouloir échanger avec des gens. Le côté “cocktail” est fondamental, mais notre culture de service est assez unique, puisqu’elle demande beaucoup d’échanges avec les clients, qui nous questionnent beaucoup. J’ai appris le métier en commençant à la plonge. On essaie de former les gens à toutes les tâches, pour que tout le monde puisse comprendre quel est le rôle de chacun, et de participer collectivement. Il s’agit d’une bonne formation. Nous essayons par ailleurs de privilégier la mobilité interne dans le groupe. Nous avons peu de turnover, mais il y a beaucoup d’opportunités à saisir – le métier s’y prête.
Ces dernières années, comment a évolué la demande des consommateurs ?
Les clients ont davantage de connaissances sur les produits et les spiritueux. Ils portent beaucoup plus d’intérêt aux spiritueux étrangers. Dans l’industrie, je n’ai pas tant vu une évolution des clients que des concepts. L’Experimental était très inspiré par la scène new-yorkaise. On ne peut pas forcément reproduire le même concept à l’identique. La scène a bougé dans la direction avec davantage de food pairing et de vins, qui correspondent plus au savoir-vivre français. Le cocktail peut se prêter à ce milieu, mais si l’on ne fait que des bars très spécialisés, cela peut être limité. C’est très fascinant d’aller dans un bar où l’on ne propose que des cocktails, mais l’élargissement de la carte peut accompagner l’envie des consommateurs. A l’Experimental, les gens connaissent déjà le concept et attendent l’expérience d’un bar à cocktails avec des drinks faits maison et des produits pointus. Les gens apprécient d’avoir une offre inédite, mais avec une forte dimension de conseil. Nous essayons de pousser des produits que les gens connaissent peu ou prou, mais dans des cocktails qu’ils peuvent aimer. Dans le service, nous devons être ouverts d’esprit.
Comment le groupe vous accompagne-t-il au quotidien ?
Cela nous aide beaucoup pour la gestion des ressources humaines et la formation. C’est aussi une question d’efficacité pour les commandes, qui sont centralisées. Pour autant, chaque bar conserve son propre concept, avec le fait de pouvoir proposer ce qu’il souhaite.
“En matière de relation client, l’expérience des bartenders est essentielle”
Dans quelle direction faites-vous évoluer la carte ?
Nous allons continuer avec la carte que nous avions en mars, au lieu de la changer tous les six mois. Nous poussons au maximum des produits sourcés bio, français… Nous ne sommes pas sur un mono-concept. Nous nous limitons à dix cocktails – actuellement avec la carte d’hiver, comme un restaurant peut l’être par les produits adaptés à la saison. La carte est une proposition, mais nous sommes très ouverts aux cocktails sur-mesure. Ce que j’explique à mes collègues, c’est que le premier verre est sacré, parce qu’il permet de créer une relation de confiance avec les clients. Pour guider les clients, nous pouvons leur demander quel spiritueux leur ferait plaisir le type de cocktail ou le ressenti qu’ils souhaiteraient avoir, et ce qu’ils n’apprécient pas. Le prix d’un cocktail peut être deux fois plus élevé qu’un verre de vin, donc il doit être bon et adapté au client. L’expérience du barman fait que l’on sait que le premier verre doit permettre de créer une connexion avec le client, et comment on doit se positionner. On peut commencer par un cocktail classique préparé de manière irréprochable.
Quid du sans-alcool ?
Il y a une évolution, mais pour le moment, cela n’a pas pris dans les bars à cocktails. Je vois un peu de kombutcha, de sodas artisanaux, de spiritueux sans alcool… Dans les bars à cocktails, les drinks sont davantage pensés sur-mesure, à la demande du client, On peut montrer l’étendue de nos talents !
La bière et les cocktails font-ils bon ménage ?
Ce que j’ai appris au Little Red Door et au Lulu White, c’est de pouvoir faire des cocktails avec de la bière. Sur la carte actuelle, nous avons un cocktail avec l’IPA Citra galactique des Brasseurs du Grand Paris, du rhum Plantation Pineapple, et un mélange de saké et de mangue (mangushu). Nous vendons aussi de la bière en bouteilles. En France, il y a davantage de bières artisanales dans les bars qu’au Royaume-Uni. Les bières industrielles ne collent pas avec le concept des bars à cocktails. Nous avons par ailleurs une bière blonde signée Deck & Donohue, et une bière variant selon la saison.
L’interview a été réalisée avant les annonces d’Emmanuel Macron dimanche 14 juin.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
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