La remise d’un rapport sur les fonds souverains à la ministre de l’Economie Christine Lagarde constitue un prétexte pour comparer les différentes réactions qui se cristallisent autour de cette question sensible. Sous sa future présidence de l’Union européenne, la France va tenter de formaliser sa position, en partenariat avec les autres membres de l’UE. Les fonds souverains (SWF) constituent « un phénomène qui suscite des interrogations légitimes mais demeure fondamentalement positif« , explique l’inspecteur des Finances Alain Demarolle, auteur du rapport.
Les inquiétudes se placent principalement autour du fait que ces prises de participation financières aboutissent à une prise de contrôle politique, notamment dans des secteurs stratégiques telles que l’armement, par exemple. Afin de prouver leur utilité et leur pertinence, ces investisseurs particuliers peuvent soit se placer à la rescousse d’entreprises en difficulté (en janvier dernier, Citigroup, en pleine tourmente consécutive à la crise financière, a levé 12,5 milliards de dollars auprès de ce type d’investisseurs) , ou soit se doter de critères éthiques et de transparence. Ainsi, l’Ambassade de Norvège à Paris précise-t-elle que « le fonds cherche rarement à dépasser une participation de 1% et ne monte jamais au-delà du seuil de 5%« .
« Les fonds souverains peuvent jouer un rôle positif au sein du système financier international pour les pays d’origine, comme pour les pays d’accueil. Leur perspective à long terme est en effet particulièrement bienvenue pour le financement d’investissement essentiels, tels que les infrastructures et permet d’assoir le développement des entreprises dans la durée. Ils constituent enfin un investisseur particulièrement précieux face à la crise financière actuelle. En témoignent leurs prises de participation dans de nombreuses institutions financières de premier plan« , confirme le rapport d’Alain Demarolle.
La Norvège s’est dotée de critères sélectifs en la matière. Son fonds de pension, principalement financé par les recettes générées par l’activité pétrolière, a investi depuis 1996 dans quelque 3.500 entreprises sur le blog en veillant au côté « moral » de ses opérations. Elle est ainsi sortie d’armuriers tels que Thalès ou EADS pour leur participation à un projet de bombe à fragmentation, rapporte Ludovic Lamant sur Mediapart.
Le double discours de Nicolas Sarkozy
En la matière, la palme de l’adaptation à son public revient à Nicolas Sarkozy, comme le prouvent les deux extraits que nous publions ci-dessous.
« Cette volonté d’aller beaucoup plus loin dans le partage des profits va de pair avec celle de promouvoir un capitalisme d’entrepreneurs, et un capitalisme familial, plus enraciné dans les territoires. Alors face à la montée en puissance des fonds spéculatifs extrêmement agressifs et des fonds souverains, qui n’obéissent à aucune logique économique, il n’est pas question que la France reste sans réagir. Il n’est pas question de laisser faire. La France assume le choix politique, stratégique de protéger ses entreprises, de leur donner les moyens de se défendre et de se développer, eh bien, la Caisse des Dépôts, nous allons en faire un instrument de cette politique de défense et de promotion des intérêts économiques primordiaux de la Nation, et qu’on arrête d’opposer cette volonté industrielle, qui est la nôtre, avec le libéralisme, c’est absurde. Tous les pays, y compris les plus libéraux, lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts, le font avec acharnement, et ils ont raison. Si les Américains ne défendent pas leurs intérêts, qui le fera ? Personne. Et nous, on aurait l’air parfaitement ridicule d’être moins libéraux que les autres, et de surcroît, de moins défendre nos intérêts. On peut être parfaitement libéral, croire à l’économie de marché et dire : nos entreprises, on va les défendre » Nicolas Sarkozy, 8 janvier
Dans ce passage énuméré lors de sa conférence de presse fleuve du 8 janvier dernier, le président de la République, pris dans la tourmente en pleine montée d’inquiétudes autour du pouvoir d’achat et soucieux de se racheter une image, prenait clairement la défense d’une industrie française capable de se développer par elle-même. Les Soveraign Wealth Funds apparaissent ici comme une catégorie d’investisseurs à contrer, soit en dotant directement les entreprises de moyens conséquents (ce qui semble difficilement réalisable), ou alors en renforçant la Caisse des dépôts dans le cadre de ses prises de participation. Une semaine plus tard, en Arabie Saoudite, pays dont les fonds sont déjà dotés de 300 milliards de dollars d’actifs (Le Monde), son discours changeait radicalement:
« La hausse des cours du pétrole est une grande opportunité pour les pays, comme l’Arabie Saoudite et comme ses voisins du Golfe, qui ont la chance de posséder cette ressource. Mais nous savons tous que cette ressource n’est pas infinie. Avec sagesse, plusieurs pays de la région ont canalisé une partie de cette richesse aujourd’hui abondante dans des fonds souverains destinés à la faire fructifier pour les générations futures. L’Arabie Saoudite a été pionnière, une fois de plus, en la matière et s’apprête à engager une politique encore beaucoup plus ambitieuse. Je serais bien mal placé pour contester une telle décision, gage de prudence et de vision de long terme. Et je serais aussi bien mal avisé de refuser que la France fasse partie des pays où s’investissent les richesses des futures générations des pays pétroliers. Nous avons besoin d’investisseurs financiers de long terme, capables de voir plus loin que les résultats trimestriels. Vous êtes les bienvenus en France » Nicolas Sarkozy, à Riyad, le 14 janvier
La position du président de la République à l’égard des fonds souverains se détend à l’occasion de cette rencontre; il n’hésite pas à accueillir à bras ouverts les capitaux émanant de fonds d’Etats étrangers.
L’approche pédagogique du rapport Demarolle
Le rapport remis cette semaine à Christine Lagarde par l’inspecteur des Finances Alain Demarolle fait la part belle aux explications et au décryptage des mécanismes financiers afin de mieux appréhender la démarche des fonds souverains. Une synthèse est disponible en PDF sur le site du ministère des Finances.
« La montée en puissance des fonds souverains est un phénomène irréversible. En effet, elle résulte de deux tendances lourdes – l’augmentation du prix des matières premières ; le caractère structurel d’excédents de balance courante. De même l’apparition des fonds souverains comme investisseurs de premier plan et notamment comme actionnaires significatifs des grandes sociétés occidentales est la conséquence logique de la diversification de leurs actifs » Extrait de la synthèse du rapport
Les « pétrodollars » constituent une conséquence de la flambée des prix du pétrole: cette dernière bénéficie aux pays pétroliers, qui comptent faire fructifier cette manne au travers d’investissements. Au-delà de l’aspect enrichissement, il s’agit aussi d’assurer le futur de ces Etats (le pétrole étant une ressource en voie de raréfaction), et, comme en Norvège, de financer les retraites (fonds de pension). Il n’est pas pour autant question d’accueillir ces investisseurs à bras ouverts sans se doter de prérogatives, comme le suggère le rapport dans l’extrait ci-dessous.
Pour tirer le meilleur parti du développement des fonds souverains, la stratégie de la France doit
reposer sur trois orientations :
– établir un dialogue confiant avec les fonds souverains ;
– favoriser un dialogue productif pour nos entreprises et notre économie ;
– fonder ce dialogue sur le principe de réciprocité.
Il s’agit aussi, selon Alain Demarolle, de se pencher sur la façon dont ces fonds sélectionnent les entreprises dans lesquelles ils vont investir (les critères financiers restent au premier poste), mais de ne pas les braquer: les règles qui s’appliqueront à ces investisseurs devront être les mêmes que pour les autres fonds, sans distinction. Ces prises de participation à l’intérieur du territoire pourraient se placer sur un principe de réciprocité, suggère enfin le rapport Demarolle.
La contrepartie de l’ouverture, c’est l’accès de nos entreprises aux pays d’origine des fonds souverains. Le principe de réciprocité ne signifie pas l’identité. Il implique cependant que des progrès significatifs soient enregistrés s’agissant du régime des investissements étrangers dans ces pays. La situation actuelle n’est pas satisfaisante pour un grand nombre de pays.
Malgré de multiples déclarations de bonnes intentions, des inquiétudes demeurent à l’égard des fonds souverains, telle celle de Pascal Lamy, président de l’Organisation mondiale du commerce, en juillet 2007: « les fonds dits souverains dérogent aux règles du capitalisme chez eux pour les appliquer ailleurs« , expliquait-t-il en forme de mise en garde. Les discussions qui débuteront sous la présidence française de l’Union européenne devraient donc se révêler à double tranchant, entre désir d’accueillir des investisseurs dotés de larges capacités financières et craintes d’investissements plus politiques qu’économiques.