Les acteurs de la filière tentent de trouver la bonne formule pour anticiper les usages et garantir un équilibre économique optimal.
18 millions d’unités de Call of Duty : Modern Warfare 3 ont été vendues en l’espace de seize jours, dans la lignée du précédent volume, qui s’était pour sa part écoulé à 27 millions d’exemplaires. Savamment orchestrés par leur éditeur, Activision, de tels lancements peuvent-ils se reproduire dans un univers totalement virtuel ?
La question est aujourd’hui délibérément posée par nombre d’acteurs du jeu vidéo, qui tentent de prendre, non sans mal, le virage de la dématérialisation. Par peur d’un mouvement massif de piratage, ou de se faire doubler en termes d’usages, certains éditeurs et distributeurs commencent à anticiper cette nouvelle étape pour un marché qui s’est totalement transformé en l’espace d’une décennie.
Cela fait plusieurs années déjà que la commercialisation des jeux vidéo n’est plus exclusivement physique, comme en témoignent de nombreux jeux en réseau multi-joueurs, les MMORPG, s’illustrant par des hits tels que World of Warcraft, dont le modèle économique ne repose pas seulement sur un unique achat : les joueurs doivent souscrire un abonnement – un mécanisme bien connu chez Vivendi, notamment par le biais de Canal+ – mais peuvent également enrichir leur expérience de jeu en faisant l’acquisition d’éléments virtuels, qui induisent une nouvelle forme de relations entre les joueurs et les studios de développement.
Sony, en pleine phase de lancement de sa nouvelle console portable Playstation Vita, veut aujourd’hui aller plus loin, en reprenant la main sur cette tendance. Soucieux de ne pas laisser échapper de précieuses parts de marché aux éditeurs eux-mêmes ou à d’autres acteurs, le fabricant proposera une version numérique des jeux le jour-même de leur commercialisation, par le biais de sa propre interface (Playstation Network). La question du niveau de prix des titres dématérialisés suscite d’ores et déjà l’interrogation de nombreux joueurs.
Mobilité et cross-canal au cœur des enjeux
Cette mise à disposition simultanée constitue également un moyen de renforcer l’attrait des consoles, et de contrer ainsi l’essor des smartphones, dont le catalogue de titres s’étoffe à un rythme considérable.
Selon l’institut GfK, en 2010, le téléchargement et le jeu sur mobiles ont généré 460 millions d’euros de chiffre d’affaires en France. Les sommes dépensées restent pour l’heure moindre sur mobiles (en moyenne 8 euros sur l’année, contre 98 euros pour le jeu sur consoles), mais sont amenées à s’accroître, notamment avec le développement des tablettes, qui élargissent considérablement la marge de manœuvre pour les éditeurs et les joueurs.
La progression de 61%, entre 2009 et 2010, des ventes de jeux dématérialisés par le distributeur britannique Gamestop, illustre le besoin de référents dans cette offre difficilement lisible, la compatibilité des différents jeux, applications et matériels étant incriminée. Sa filiale française Micromania a par ailleurs lancé une carte permettant de jouer de manière illimitée à différents jeux, espérant ainsi contrer ce mouvement de fond en plaçant son réseau au cœur du dispositif.
Ce passage d’une vente de produits à celle de services a notamment été soulevé au sein de l’Association française pour le jeu vidéo, qui propose en ligne l’avis émis, en mai dernier, par le directeur créatif indépendant Pascal Luban. « Je pense que beaucoup de joueurs refuseront d’acheter des titres qui ne seront proposés qu’en version dématérialisée sauf s’il s’agit d’un titre incontournable comme Starcraft 2 », expliquait-il alors, mettant en avant la notion de cross-canal, qui fait son chemin dans le secteur.
L’attitude des éditeurs, des constructeurs et des distributeurs sera déterminante, dans les mois à venir, dans l’impulsion donnée à la dématérialisation du jeu. Le risque, pour nombre de ces acteurs, en plus d’une perte de revenus liée à des prix de vente moindres, est aussi de perdre en chemin des joueurs occasionnels ou une cible familiale, tirée ces dernières années par Nintendo. Cette mutation semble néanmoins bien en marche : Ubisoft consacre ainsi un quart de son budget R&D aux jeux en ligne.