Ancien journaliste, Guirec Aubert est devenu biérologue, consultant spécialisé dans la bière, en animant des ateliers dédiés, des sessions de formation, et en contribuant régulièrement dans la presse. L’auteur de « La bière, c’est pas sorcier » poursuit dans son nouvel ouvrage, « La bière dans tous ses états » (Editions Apogée, 132 p.), son travail d’exploration d’une des plus anciennes boissons produites par l’homme, à travers une approche historique, économique et sociale. A l’heure où la France compte plus de 1600 brasseries, il revient sur les conditions de retour en grâce.
Peut-on parler d’une véritable renaissance de la brasserie ?
La renaissance de la brasserie artisanale aujourd’hui est plutôt une réinvention. On le fait toutefois avec de nouvelles méthodes. Beaucoup de brasseurs se réclament d’une tradition, mais on applique aussi les bonnes pratiques de l’industrie, notamment en matière d’hygiène. Le process de brassage n’a pas tellement changé depuis mille ans (la grosse innovation ayant consisté en l’introduction du houblon), mais la capacité à mobiliser de grandes quantités d’énergie et les améliorations progressives durant la fabrication doivent être relevées. La professionnalisation est arrivée avec l’émergence d’une civilisation urbaine au Moyen-Age : il était habituel de brasser dans les monastères. Avec la spécialisation des métiers, des gens ont brassé afin de vendre leur production. En Allemagne, des cités se sont créées autour de l’exportation de la bière.
Quels acteurs ont accompagné la montée en puissance de la bière ?
Après la seconde guerre mondiale, le secteur a connu une période de forte croissance. Aux Etats-Unis, la publicité télévisée a été un gros vecteur de développement. En France, Kronenbourg a compris dès le départ la distribution, la logistique et le marketing avec une marque nationale, et un process synonyme de gage de qualité. Le produit était perçu comme fiable. La construction de la brasserie d’Obernai a permis d’asseoir cette avance. L’entreprise s’est appuyée aussi sur des économies d’échelle, et l’essor de la grande distribution dans les années 1960, en parallèle de la commercialisation dans les bars.
« Les nouveaux styles de bière sont amenés à durer »
On ne compte plus les nouveaux styles de bière : est-ce une mode ?
Les nouveaux styles de bière sont vraiment durables. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et même en Italie maintenant, tout le monde ou presque référence et boit de l’India Pale Ale (IPA). Chez Monoprix, on compte jusqu’à douze références de pale ale et d’IPA ! On ne reviendra pas en arrière. Les déclinaisons très pointues ne seront pas forcément appelées à s’installer, mais le grand public a prouvé qu’il souhaitait de la diversité. En trois ans, la bataille de l’image a été remportée. Par ailleurs, tout le monde n’est pas forcé d’aimer l’amertume.
Quelles difficultés doivent surmonter les nouveaux brasseurs ?
On recense majoritairement de petites unités, qui, pour l’heure, ne se rémunèrent pas encore. Il va encore y avoir 20% à 30% de croissance pendant quelques années. Chaque modèle est différent selon le lieu où l’on s’implante. Il y a des charges, des approvisionnements, des engagements réglementaires à tenir… Ce n’est pas insurmontable, c’est une discipline. Ce qui fait courir les brasseurs, c’est que ce sont des chefs d’entreprise, qui ont la fierté de faire des produits artisanaux de bonne qualité. Le secteur est encore très jeune et doit poursuivre sa consolidation. Le manque de cash les freine parfois.
Les bars spécialisés peuvent-ils élargir leur cible ?
La plupart des grandes villes ont leur bar à bières, dans lequel on va mettre en avant les produits sous un angle qualitatif. A Rennes (Ille-et-Villaine), il y a trois ans, la scène était vide… Même les bars classiques distribuent de la Skumenn et d’autres bières locales, par exemple. Le public est là. Le prix engendre par ailleurs une manière de boire qui est différente, en incitant à s’intéresser réellement à la bière.
Des ateliers de découverte
Guirec Aubert anime Bière Masterclass, des ateliers de découverte de la bière. Le cadre s’y prête bien : La Cave à bulles, une boutique spécialisée dans la bière artisanale, créée il y a 13 ans, rue Quincampoix à Paris. Les principes de la dégustation sont posés : un verre INAO, utilisé pour le vin, se substitue aux multiples verres à bière.
Parmi les bières dégustées et commentées, la Volcelest Blonde est une pale ale brassée par la Brasserie de la vallée de Chevreuse, dans les Yvelines. Cette bière non filtrée et non pasteurisée présente des couleurs différentes entre le premier et le dernier verre servis. « La pale ale a été développée par les Anglais pendant la révolution industrielle, afin de permettre aux ouvriers de s’hydrater sans les effets néfastes de l’alcool », indique-t-il. « Le stout est plus sec et plus porté sur les notes grillées », poursuit Guirec Aubert avant d’introduire le porter de la brasserie Thiriez (Nord), l’une des pionnières de la bière artisanale. Un pairing avec du chocolat ou du Bleu des Causses est suggéré.
La ferme-brasserie Saint-Rieul, située dans l’Oise, propose une bière blanche sur lie, de fermentation haute et refermentée en bouteille. L’occasion de rappeler la différence entre les Weissen allemandes au blé, et les Witbier (malt de blé, malt d’orge) belges. Les IPA ne sont pas oubliées, grâce à la Citra galactique de la Brasserie du Grand Paris. L’occasion d’en savoir plus sur les principes de l’houblonnage à cru, très apprécié des brasseurs artisanaux.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
- Cette semaine, les professionnels de la bière artisanale organisent la Paris Beer Week, un ensemble d’événements en Ile-de-France.