1,60 dollar, telle est la somme qu’il fallait débourser la semaine dernière, lors d’un énième record, pour s’offrir le luxe de posséder un euro. Après avoir connu une longue période de vache maigre, la monnaie unique ne cesse de s’envoler parallèlement à la baisse du dollar, qui semble inexorable tant elle devrait permettre aux Etats-Unis de relancer une économie chancelante par le biais des exportations. Mais cette montée de la monnaie unique est à double courant: elle permet certes de payer moins cher des produits facturés en dollar, tel que le pétrole, mais pénalise nos exportations.
« Si l’euro n’était pas aussi fort, les produits importés seraient plus chers le pétrole en tête , et l’inflation en zone euro bien plus importante. Le pouvoir d’achat des consommateurs s’en trouverait davantage rogné.C’est en revanche une mauvaise nouvelle pour la croissance. Car l’euro fort pèse sur les marges des entreprises, les profits en pâtissent. Et au final, ce sont les décisions d’investissements qui sont retardées, voire annulées« , explique au Figaro Eric Chaney, chef économiste chez Morgan Stanley. Car tout le paradoxe de la situation est là: tandis que le pétrole est moins cher et l’inflation modérée, nos produits apparaissent à un coût élevé pour les entrepreneurs de la zone dollar. Le danger réside dans le cas où l’avantage ne comblerait pas l’inconvénient, ce qui est en train de se passer.
La monnaie unique est aujourd’hui prise en étau entre les décisions de la Fed, qui a privilégié de massives baisses de taux d’intérêt suite au déclenchement de la crise financière, afin de faire face au ralentissement de l’économie. Il s’agissait essentiellement de soutenir l’investissement. Le taux des fonds fédéraux de la banque centrale américaine (Fed) a été ramené en huit mois de 5,25 % à 2,25 %. Les deux banques centrales doivent avant tout faire face à deux problèmes de nature a priori différente: Ben Bernanke doit pouvoir être en mesure de soutenir une croissance dont la brutale décélération en décembre montre encore les limites de l’économie américaine actuellement, tandis que Jean-Claude Trichet ne cesse de réaffirmer son inquiétude contre une hausse généralisée et durable du niveau des prix, ce qui l’amène selon lui à devoir se montrer moins réactif face à l’actualité.
Le gouverneur de la Banque centrale européenne doit en effet faire face à l’inflation: en mars, cette dernière a atteint 3,5% en rythme annuel. L’objectif de la BCE, fixé à 2%, est donc largement dépassé, ce qui devrait apporter de l’eau au moulin d’un Jean-Claude Trichet qui, à plusieurs reprises, a invoqué cet argument pour expliquer sa politique divergente de celle de la Fed: les situations économiques sont différentes, selon l’ancien gouverneur de la Banque de France. Interrogé sur un éventuel relèvement des taux d’intérêt, le gouverneur de la Banque du Luxembourg Yves Mersch a indiqué qu’il s’agissait d’une « question est tout à fait justifiée. Il y a des questions que nous devons nous poser chaque mois. Je suis surpris que nombre d’analystes de marché envisagent encore une possibilité qui n’est en aucune manière requise dans le contexte actuel, c’est-à-dire une baisse des taux. Je demande qu’on s’intéresse aux mêmes faits que ceux que nous examinons ». Les conditions d’octroi de crédits doivent néanmoins être dégrippées, si l’on en croît bon nombre d’économistes et si l’on observe la récente opération menée en Angleterre par la BoE.
La BCE a donc affaire à deux défis d’importance, à savoir comment maîtriser le niveau de sa monnaie et contenir l’inflation. De vastes chantiers en perspective, et l’occasion de rappeler une fois encore combien une politique européenne davantage tournée vers la recherche et développement permettrait de se prémunir davantage contre ces variations en accumulant un avantage concurrentiel à travers des produits innovants et exclusifs.