Exploitant de dix bars-restaurants et d’une brasserie, Paul Chantler alerte sur les difficultés financières de FrogPubs, et élargit le débat à l’ensemble du secteur. Les acteurs du CHR génèrent des externalités positives que l’Etat doit prendre en compte, indique-t-il.
“L’Etat a besoin de nous”, souligne Paul Chantler. Le fondateur et dirigeant de FrogPubs (8 bars-restaurants à Paris, 1 à Bordeaux et 1 à Toulouse) met en exergue l’enjeu de la contribution économique du secteur CHR : “notre entreprise contribue en temps normal pour plus de 10 millions d’euros par an aux finances de l’Etat”. FrogPubs, qui compte aussi une brasserie à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), compte 250 collaborateurs et a généré 20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Aujourd’hui, à l’instar de très nombreux acteurs, elle est dans une situation difficile.
En 2020, l’entreprise a perdu 60 % de son chiffre d’affaires. “Nous avons globalement besoin d’être remboursés d’une année de cotisations à l’Etat (impôts, TVA…) Il faut nous permettre de retrouver nos niveaux d’activité antérieurs pour que l’on puisse payer nos dettes, nos bailleurs… On vit difficilement depuis neuf mois”, alerte Paul Chantler. Il appelle à la prise en charge du chômage partiel à 100% et à l’exonération des charges sociales patronales tant que le chiffre d’affaires n’aura pas atteint la barre de 80%.
Le chef d’entreprise tient à rappeler que la fermeture des bars et restaurants n’affecte pas seulement cette branche : “toute la filière est affectée, avec nos fournisseurs. Les techniciens, les agents de ménage, les prestataires… sont également très pénalisés. Nos futurs sont liés. En termes de paiements, ils ont été très compréhensifs. En revanche, en termes de locaux, certains bailleurs ont compris la situation, d’autres moins. Il y aura dans l’ensemble du secteur un changement des relations : les loyers qui étaient valables il y a deux ans ne sont plus tenables aujourd’hui.” Dans l’univers de la bière, les microbrasseries sont en grande difficulté, ajoute-t-il.
Une réouverture contrariée
FrogPubs, qui produit sa propre bière et la distribue dans ses pubs, a jeté 100 000 litres de bière en 2020. Le dirigeant regrette la valse des règles – changement des protocoles, couvre-feu, fermeture du jour au lendemain… – qui compliquent la gestion. “Les banques continuent à prélever, alors que nous sommes fermés. Côté assurances, nous avons été remboursés par Axa d’une bonne partie des pertes d’exploitation sur le premier confinement, mais nous avons dû nous engager à ne pas demander une deuxième indemnisation”, précise Paul Chantler.
“Nous sommes devenus dépendants des aides de l’Etat, ce qui n’est pas dans notre mentalité”, poursuit le dirigeant, qui souffre aussi de sa taille d’une grosse PME : l’aide correspondant à 20 % du chiffre d’affaires mensuel s’entend à l’échelle d’une entreprise et non d’un établissement. “100 000 ou 200 000 euros ne couvrent pas nos besoins à l’échelle de nos établissements.” Au quatrième trimestre 2020, il y aura un écart de 5 millions d’euros entre le chiffre d’affaires réalisé et ce que la direction avait budgété pour la période.
“Ouvrir un restaurant fin janvier, c’est le pire mois de l’année, et il faudra encore trouver des solutions pour nous aider à survivre dans la durée”, poursuit Paul Chantler, échaudé par l’expérience de la réouverture du 2 juin au 29 octobre. Une période au cours de laquelle les managers des pubs ont fait preuve d’agilité, adaptant leurs horaires, préemptant des terrasses, jouant sur leur offre et appliquant le protocole sanitaire tout en s’efforçant de maintenir l’expérience client. Or, le chiffre d’affaires a chuté – il n’a atteint que 50% à 75% de son niveau habituel selon les lieux. En termes de consommation de trésorerie, FrogPubs a perdu 150 000 euros sur le seul mois d’octobre : “compte tenu des restrictions et du faible nombre de clients, nous avons perdu davantage d’argent qu’en étant fermés.” Paul Chantler suggère le report des échéances bancaires et financières pendant au moins six mois après la réouverture des bars et restaurants.
Les équipes comme première préoccupation
La désertion des bureaux (les établissements étant situés en cœur de ville), l’absence des principales compétitions sportives et l’arrêt de l’événementiel pour les entreprises ont fait le reste. Réalisé sur place et avec les principales plateformes, le click & collect représente 1% à 2% seulement du produit des ventes : “cela nous permet d’être présents. Ce n’est pas la même chose que d’être ouvert. Cela accélère la digitalisation, mais il n’est pas possible de prétendre que ce soit une solution.” Une offre de box à emporter a été lancée.
Cette formule permet par ailleurs de maintenir un lien avec les clients… et les équipes. L’une des principales inquiétudes de Paul Chantler. Les managers des sites se réunissent chaque semaine, et chacun d’entre eux échange avec son équipe. “Il faut vraiment que nos équipes disposent de la bonne information. Nous devons être en contact avec tous les équipiers, pour que personne ne se retrouve isolé – nous avons notamment beaucoup de jeunes collaborateurs”, complète-t-il. L’abonnement à une application dédiée à la formation, Skilleos, permet aux collaborateurs d’acquérir de nouvelles compétences à distance.
Depuis neuf mois, aucune embauche n’a été réalisée. Un crève-cœur pour le dirigeant, qui met en avant l’enjeu social d’une reprise rapide des bars, hôtels ou restaurants : “l’un des plus gros problèmes que nous avons en France, c’est le manque d’ascenseur social – ce que la restauration permet de faire. Tout le monde est un apprenti de tout le monde. Quand il y aura des faillites, il y aura des tragédies personnelles et professionnelles. Lorsque l’on parle des coûts humains de cette crise, les gens, chez eux, ne sont pas en train d’apprendre et de se développer.”
Une offre élargie de vente à emporter
Dans ses bars-restaurants, FrogPubs vient de lancer Frog Chef, une offre de plats : des kits adaptés aux produits best-sellers, à cuire et à déguster à la maison (burgers, ribs, quesadillas, sticks de mozzarella). Les produits sont emballés, accompagnés de fiches recettes reprenant les méthodes de préparation de l’enseigne. En take away, la bière est vendue en bouteilles ou en pintes; tandis que certains cocktails peuvent aussi, comme l’offre food, être emportés.
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