Des compagnies pétrolières aux exploitants agricoles en passant par les exploitants de mines, tous les acteurs du secteur des matières premières assistent à d’importants mouvements.
Les matières premières n’ont jamais occupé autant d’importance sur la scène économique mondiale. Les commodities font l’objet d’une forte actualité, entre les soubresauts des cours du pétrole, qui, après avoir joué aux montagnes russes, s’envolent de nouveau ; les matières premières agricoles, où l’offre peine à satisfaire la demande, et le secteur minier, théâtre de fusions et de rapprochements plus ou moins souhaités par les parties.
Derrière ces mouvements, se recèle la question principale posée aux acteurs économiques mondiaux pour les années à venir : comment gérer l’offre dans un contexte de raréfaction des ressources, d’une demande à la croissance incertaine et des problématiques liées au développement durable ?
Pétrole : prendre en compte la crise et les pays émergents. Pour l’Agence internationale de l’Energie, anticiper les évolutions de la demande relève presque de l’impossible tant les paramètres sont nombreux. Selon les dernières estimations parues fin juin, la hausse de la demande s’élèverait à 0,6% par an entre 2009 et 2014, contre les 1,6% prévus précédemment. Des chiffres à prendre avec des pincettes : quinze jours auparavant, l’organisation revoyait en légère hausse ses chiffres pour l’année en cours ! L’enjeu est de réussir à croiser différentes variables, au premier rang desquelles les conséquences collatérales de la crise (une consommation plus raisonnée de produits pétroliers) et un début de reprise économique anticipé par les marchés.
« La profonde récession économique qui s’est répandue dans le monde entier l’année passée a fait de sévères dégâts sur la demande de pétrole, qui devrait se contracter à des taux inconnus depuis le début des années 80 », a expliqué l’Agence internationale, qui constate les changements de comportements des consommateurs, en particulier américains. La spectaculaire augmentation des prix au cours du premier semestre 2008 avait préparé les esprits à une situation au sein de laquelle une hausse de la demande coïncide avec une raréfaction de l’offre, impactant les cours. A cette « mise en garde » a succédé une phase de décrue des cours entre septembre 2008 et février 2009, signe tangible de l’amplification de la crise économique. Ces épisodes semblent avoir marqué les automobilistes, plus regardants sur leur consommation. A noter par ailleurs, les difficultés traversées par les compagnies aériennes.
Les majors ont entamé un cycle de report de leurs investissements, pénalisant à moyen terme l’offre. Les activités d’exploration-production, lucratives avec un baril à 150 dollars mais exclues à 35 dollars, ont été les premières à faire les frais de la brutale chute des cours, et devraient mettre un certain temps à redémarrer. La stratégie des pays émergents devrait conditionner pour une large partie cette reprise des opérations, entre développement de l’automobile à l’occidentale et nécessité de tirer vers une croissance verte, orientée sur le respect de l’environnement. Les modèles de véhicules à destination de ces Etats, tels que la Logan de Dacia (Renault), ignorent pour l’instant ce défi. Les groupes britannique BP et chinois China National Petroleum Corporation viennent de décrocher d’un important champ pétrolier en Irak : le secteur semble croire à son avenir.
Y aura-t-il assez de céréales pour nourrir la planète ? « Parce que l’alimentation est un besoin indispensable, le secteur agricole résiste mieux à la crise économique mondiale que les autres secteurs d’activité. Au cours des dix années à venir, les prix moyens des productions végétales devraient connaître une hausse de 10 à 20 % en termes réels par rapport à la décennie précédente », estiment l’OCDE et l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) dans leur dernier rapport sur la situation économique de l’agriculture. Contrairement à une batterie de biens sur lesquels d’importants arbitrages ont pu être effectués par les consommateurs, l’alimentation résiste et fait office de secteur défensif.
Les produits laitiers souffrent certes d’une désaffection en Europe, mais l’engouement pour les céréales ne se dément pas, la tendance « environnementale et bien-être » accentuant l’intérêt pour les matières premières d’origine agricole. Toutefois, la production ne croît que de 0,6 % par an alors que les besoins sont amenés à doubler, selon la FAO, d’ici à 2050 : les pays émergents calquent progressivement leurs habitudes sur les modes de consommation occidentaux, avec une consommation de viande plus forte : la moitié des céréales produites dans le monde sont dévolues à la nourriture animale. Les investisseurs se renforcent sur ce segment : ainsi, le fondateur de Poweo Charles Beigbeder s’est retiré du marché de l’énergie pour s’orienter vers celui des greniers à blé. Tout un symbole !
Mines : je t’aime, moi non plus. « Le nerf de la guerre est toujours le même, la diversification des produits et des implantations géographiques, en raison de la rareté de la ressource », indique au Journal des Finances Luc Pez, analyste chez Oddo Securities.
Après le rapprochement avorté entre Rio Tinto et BHP Biliton, le suisse Xstrata a récemment lorgné sur Anglo American, lequel a refusé avant de se voir signifier une nouvelle proposition : ces deux exemples prouvent que la consolidation du secteur ne se fait pas sans mal. En février dernier, c’est la société d’Etat chinoise Chinalco qui devait acheter, pour 19,3 milliards de dollars, des participations dans neuf actifs parmi les plus profitables de Rio Tinto, dans l’aluminium, le cuivre et le minerai de fer, avant d’assister à la fin de l’accord par le groupe anglo-australien.
Un groupe étant limité à ses propres mines, il peut soit acquérir un concurrent pour se développer de manière rapide, soit mobiliser de puissantes forces de prospection. Dans le premier cas, l’entreprise peut réaliser des synergies, acquiert une force de frappe importante, mais prend le risque de s’associer à un partenaire qui pourrait le mettre en difficulté. L’opération peut se dérouler à des niveaux de prix dans la moyenne. L’autre option, l’exploitation de nouveaux gisements, permet de garder la main sur les investissements réalisés en interne, mais s’avère coûteuse.
Ces trois secteurs témoignent de l’emballement généralisé autour des matières premières, qui méritent plus que jamais leur nom…