Le neuropsychologue Francis Eustache met en garde quant aux conséquences d’un usage déraisonné de l’Internet sur la mémoire individuelle.
A l’heure du stockage quasi-permanent de nos données (courriels, cloud, sites Internet…), les processus de conservation de l’information évoluent. Cet appui de plus en plus fort sur des supports externes constitue-t-il un atout ou illustre-t-il un manque de discernement et une tendance à la passivité, de nombreuses informations recherchées étant disponibles en un clic ?
Le neuropsychologue Francis Eustache, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et à la tête d’une unité de l’Inserm, a répondu aux questions de Business & Marchés. Il traite également de cette thématique dans le cadre de l’Observatoire B2V des Mémoires, crée par le groupe éponyme de protection sociale.
Alors que le volume d’informations stockées en ligne ne cesse de s’accroître, estimez-vous qu’il s’agit d’une avancée certaine, ou bien le signe d’une frénésie qui illustre un manque de sélectivité ?
L’importance accrue des mémoires externes, et notamment des mémoires artificielles, conduit à des interrogations sur les modifications de notre mémoire interne (ou naturelle, même si ce terme est contestable). Notre mémoire individuelle a toujours fait appel à des mémoires externes : c’était par exemple le spécialiste de tel ou tel domaine que l’on pouvait consulter. L’invention de l’écriture, de l’imprimerie, le développement de différents médias et moyens de communication ont amplifié encore ce phénomène. L’accès à Internet est d’une nature différente car il est survenu très rapidement, a concerné (et concerne) un nombre très important de personnes de par le monde et il permet d’accéder à un nombre d’informations quasi illimité. Il faut également mentionner son omniprésence du fait des serveurs de plus en plus nombreux et faciles à utiliser.
Les informations que nous stockons en ligne sont perméables à des problèmes de conservation et de classement. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Internet est un formidable outil de culture et d’enseignement et favorise le progrès des connaissances dans de nombreux secteurs. Ses effets potentiellement délétères sur la mémoire individuelle doivent aussi être soulignés. En effet, l’utilisation d’Internet ne doit pas devenir un outil exclusif qui se ferait aux détriments d’autres supports comme le livre ou divers médias. Certains avantages d’Internet, comme la facilité et l’immédiateté de l’accès à l’information, peuvent constituer autant de biais ou de limites. En effet, pour que des informations soient retenues par notre mémoire, il faut que celles-ci soient traitées en profondeur (c’est-à-dire en ayant accès à leur signification, en mettant celle-ci en lien avec d’autres informations). Il faut aussi que cette information donne lieu à un minimum de vérifications pour en attester la qualité, la véracité, etc.
D’après vous, les capacités accrues de conservation des informations offertes par les supports numériques altèrent-elles la capacité de l’Homme à emmagasiner et restituer des connaissances ?
« Surfer » avec trop de facilité sur Internet n’invite pas à ce traitement profond et à ce contrôle de la source des informations, ce qui pourrait conduire, si l’on n’y prend pas garde, à une mémorisation d’une qualité médiocre. De plus, mémoriser exige un travail de synthèse pour assimiler les informations et se les approprier. L’hyperstimulation des sociétés modernes peut gêner ce travail de synthèse de la mémoire. L’utilisation raisonnée d’Internet, complémentaire de celle d’autres moyens d’information et de communication, devrait faire l’objet d’une éducation spécifique.
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