De nombreux chefs développent leur marque personnelle (« personal branding »), en mettant en avant leur histoire ou leurs aspirations. Dès lors, où se situe leur cuisine? Entretien avec le consultant Guillaume Erblang-Rotaru.
Jamais les chefs n’ont autant fait parler d’eux ! Du boom des réseaux sociaux à la mise en avant des chefs à la télévision, il semble aujourd’hui impossible d’échapper aux hommes et aux femmes qui s’activent derrière les fourneaux. Dès lors, comment ces professionnels peuvent-ils adapter leur communication et mettre également en avant leurs plats et/ou leurs établissements ?
Il est nécessaire de les accompagner en la matière, estime Guillaume Erblang-Rotaru, consultant en management de marques, spécialisé en personal branding des chefs. Auteur d’un blog consacré à ce sujet (Chefs Restaurants and Branding) et diplômé d’un MBA en management des marques de luxe au terme d’un cursus réalisé dans l’hôtellerie-restauration, il souhaite développer ses activités sur ce créneau. « En France, c’est une niche, explique-t-il. Les chefs communiquent de manière très commerciale. Les jeunes du 50 Best restaurants, classement controversé en France, communiquent en grande partie eux-mêmes sur les réseaux sociaux et sur leur marque personnelle en quelque sorte. C’est très important car il faut faire du storytelling. »
« A la base, la communication a beaucoup été axée sur le lieu, le restaurant… On classait les restaurants en terme de qualité de cuisine. Même si le chef était reconnu, on ne capitalisait pas nécessairement sur lui. Petit-à-petit, les mentalités ont changés avec l’arrivée du Michelin. Bocuse a été l’un des à valoriser sa marque personnelle pour en faire l’une des plus fortes de France et dans le monde. Il possède de nombreux établissements en Europe, en Asie, etc. On a ainsi commencé à communiquer sur les personnes/sur les chefs, mais on a aussi axé la communication sur l’expérience client et le partage de savoirs (recettes et conseils culinaires). »
Des personnalités qui se démarquent…
De nombreux chefs ont orienté leur communication selon des axes opposés. « Aujourd’hui, les chefs ne partagent plus seulement des conseils culinaires, mais font également part de leur expérience personnelle. Ils parlent de qui ils sont, de ce qui leur passion, et des convictions qu’ils ont. Par exemple, Thierry Marx, qui est doublement étoilé capitalise désormais sur certains points de sa marque personnelle. Il est très engagé, c’est un très bon manager, un excellent cuisinier mais il ne communique pratiquement pas sur sa cuisine. Il utilise, en quelque sorte, la cuisine, pour mener à bien des projets de société : la formation, la réinsertion, le respect du staff, l’entrepreneuriat… Il insiste sur ces points. »
Dans un registre similaire, « Philippe Etchebest a une carrure imposante, une puissance… Au même titre que Norbert Tarayre de Top Chef, il se sert de sa personnalité. Norbert séduit par sa bonne humeur, ses remarques cultes, ses mimiques tandis que Philippe Etchebest est davantage tourné sur la technique, l’organisation. Il est apprécié du public, c’est un des chefs français le plus suivi sur Facebook avec plus de 450 000 fans. Au-delà de cela, il ne revendique pas un style particulier de cuisine – on n’en parle pas trop. On l’apprécie pour sa personne et on sait que ce sera de la qualité, et son nouveau restaurant, à Bordeaux, est plein midi et soir. »
… et des plats qui créent l’émerveillement
« A l’opposé, les chefs comme Alain Passard (L’Arpège) sont très connus pour leurs plats : il poste sur Instagram des photos de plats très artistiques. Il a été l’un des premiers à cuisiner uniquement à base de légumes ; il a des potagers en dehors de Paris, etc. Avec L’Arpège, Alain Passard a réussi à construire sa marque autour de l’utilisation de produits végétaux qu’il produit lui-même. Il s’est différencié par rapport à ses concurrents. C’est l’un des rares à communiquer sur sa passion et sur ses créations, avec ses photos de plats : c’est un « chef-artiste », et il le retransmet parfaitement sur son compte Instagram. J’apprécie ce compte, car cette démarche est en rupture avec la démarche des chefs qui essaient de ‘‘s’inventer une image’’ pour se positionner et d’avoir un discours trop commercial », poursuit le consultant.
Photo: A couple of chefs working hard par Shutterstock/Leon Rafael
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