Un sondage TNS Sofres indiquait il y a un an que seuls 32 % des Français se déclaraient favorables à l’instauration de péages urbains, un chiffre alors publié en plein Grenelle de l’Environnement. Mais la détermination du ministère de l’Ecologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire à réduire les nuisances engendrées par le trafic automobile (l’exemple le plus significatif est celui des bonus-malus) pourrait aussi passer par un tel dispositif. Le chef de l’Etat l’avait déjà évoqué.
Afin d’aiguiller les autorités concernées dans la définition du projet et aider le ministère à autoriser juridiquement les collectivités territoriales à mettre en place des péages urbains, le Conseil d’analyse stratégique a publié jeudi dernier un rapport intitulé Péages urbains: principes pour une loi. Il s’agit de faire le point sur les conditions et les conséquences de l’introduction de tels dispositifs. Les conclusions du Conseil, très attendues, devraient être abondamment commentées.
Le système a été médiatisé depuis son introduction à Londres en 2003. Afin de pénétrer dans un périmètre déterminé à certains horaires, les automobilistes doivent s’acquitter d’une taxe. Il s’agissait alors de décongestionner le centre-ville. Selon André Lauer, directeur en 1997 du Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, la dénomination de péage urbain peut s’apparenter à « toute forme quelconque de paiement imposé aux automobilistes pour pouvoir circuler en certains endroits de certaines parties des zones urbaines« .
A quelles conditions implanter un péage urbain…
Autoriser les collectivités locales à mettre des péages urbains s’avère relativement complexe. Il faut d’abord déterminer quels organismes se chargeront de collecter les taxes et superviser les nouvelles infrastructures. Pour la région parisienne, le Conseil d’analyse stratégique recommande d’en attribuer la charge au Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF), étant donné que cette structure supervise déjà plusieurs organismes et modes de transport (fixation des tarifs et de la politique de mobilité en matière de trains et de bus, notamment). Une loi particulière pourrait aussi être envisagée. Dans les autres agglomérations, la tâche pourrait être confiée à l’autorité organisatrice des transports urbains, « dans le cadre de l’élaboration ou de la révision préalable d’un plan de déplacements urbains« . Afin de faciliter l’exploitation des péages, « l’Etat devrait leur permettre de disposer des systèmes techniques de perception et de contrôle et de sanction« .
L’élément le plus polémique concerne le montant des redevances demandées aux automobilistes. Il faut veiller, explique le Conseil d’analyse stratégique, à ce que le péage urbain soit « socialement équitable, en prenant en compte la situation des différentes catégories d’usagers au regard de la contrainte financière qu’il implique« . Le recours à une loi s’avère dès lors indispensable. Ce texte devra, « en application de l’article 34 de la constitution, fixer l’assiette, les taux et les modalités de recouvrement des impositions du péage, en laissant aux autorités locales la possibilité de l’adapter à leur situation particulière. Dans la mesure où il s’agit d’une taxe, la mise en oeuvre de tout péage urbain impact le niveau des prélèvements obligatoires. »
Enfin, la question même de l’implantation d’un péage urbain pourrait être soumise à une enquête publique préalable. « La légitimité du péage urbain devrait reposer sur les avantages socio-économiques globaux qu’il
apporte à la collectivité« , estime le Conseil, qui insiste sur « l’intérêt économique et environnemental d’un péage urbain pour la collectivité territoriale« . Selon le Conseil d’analyse stratégique, le péage urbain ne doit pas être une nouvelle façon de « lever l’impôt », mais bien un moyen avantageux pour la collectivité en termes socio-économiques (y compris environnementaux). « Les économistes ont démontré depuis près de 150 ans que la mise en place d’un péage sur une infrastructure publique existante non congestionnée appauvrit globalement la collectivité dans la mesure où la perte économique des usagers est en général supérieure à l’avantage obtenu avec la ressource publique supplémentaire collectée« , est-il précisé.
… et pour quels résultats ?
Comme expliqué ci-dessus, l’implantation d’un péage urbain ne pourrait se concevoir qu’à condition d’en tirer des bénéfices socio-économiques probants. Le Conseil d’analyse stratégique a examiné les exemples de différentes villes qui ont mis en place un tel dispositif. Les problématiques différent selon les cas. Ainsi, dans le cadre du cas le plus observé, celui de Londres, « le consensus était général sur la nécessité de réduire la congestion, d’améliorer le service des bus (à l’aide des recettes du péage) et la fiabilité des durées de déplacement en automobile, de rendre la livraison des marchandises et le fonctionnement des services plus efficaces, de diminuer les émissions de CO²« . La congestion et l’environnement sont donc deux thèmes phares à même d’inciter les municipalités à se pencher sur la question. Le financement des transports rentre aussi en ligne de compte.
Au vu des situations de Londres, Stockholm, Singapour ou de deux cités norvégiennes, il apparaît que l’introduction d’un péage urbain dans un périmètre donné contribue avant tout au décongestionnement des zones concernées. La barrière financière agit comme un moyen de réduire la circulation dans ces espaces, et d’y faciliter l’écoulement du trafic. Pour autant, à Londres, on ne constate pas de report de la circulation automobile dans les zones environnantes, indique le Conseil d’analyse stratégique. La fiabilité des transports en commun fait office d’argument choc: « à Stockholm, on évalue la baisse des pertes de temps liéesà la congestion entre 30 % et 50 %« , tandis qu’à Londres, « on constate une diminution de 30 % des retards aux arrêts« .
La réduction de la pollution, argument mis en valeur par le ministère de l’Ecologie et par les associations de protection de l’environnement, apparaît comme difficilement quantifiable. Toutefois, selon l’organisme en charge des transports londoniens, « la mauvaise qualité de l’air dans la capitale est responsable chaque année de 1.000 décès prématurés et 1.000 admissions supplémentaires à l’hôpital« . L’institution estime que la réduction de la circulation sur le périmètre de 21 km² aurait permis de faire « gagner » aux Londoniens plus de 1.800 années de vie.
Toutefois, les recettes nettes du système sont inférieures aux prévisions. Nombre d’automobilistes cherchent à contourner la taxe. Les recettes « restent néanmoins modestes au regard des dépenses globales de fonctionnement et d’investissement d’infrastructures et de services de transport actuellement à la charge des collectivités territoriales« , soulignent les auteurs. Au-delà d’un bilan financier mitigé, les conséquences économiques sont primordiales. Les commerçants sont les premiers concernés. Selon l’Association pour le développement des techniques de transport, six mois après l’instauration du péage londonien en 2003, « 70.000 personnes de moins venaient dans la zone, par tous les modes de transport, par rapport au printemps 2002« . Cette donnée semble essentielle, en particulier dans des centres-villes très commerçants.
Cette association avance un chiffre qui laisse à réfléchir: « on estime que le péage urbain n’est seulement responsable que d’environ 5 à 7% de la réduction globale des personnes qui viennent dans la zone de péage« , indique-t-elle. La nécessité de péaages urbains doit donc faire l’objet d’abondantes concertations en amont, afin de vérifier les conséquences socio-économiques d’un tel changement. A noter que les résidents sont aussi soumis à la taxe, mais avec une réduction pouvant aller jusqu’à 90 %, expliquent les autorités londoniennes. Le marché de l’immobilier bénéficie alors d’un avantage sur le plan environnemental, mais se réduit aux acheteurs et locataires étant en mesure de régler cette charge.