Vivre sans pétrole (1/4). L’accalmie de ces dernières semaines va-t-elle se confirmer, ou n’est-ce qu’une baisse de régime passagère qui risque à tout moment de s’interrompre pour repartir de plus belle ? C’est toute la question qui est actuellement posée sur les marchés pétroliers, qui ont vécu, ces derniers mois, d’intenses moments d’agitation. Le baril d’or noir a ainsi grimpé jusqu’à 146 dollars, une somme qui semblait quasiment inaccessible au regard de l’Histoire. En 2002, il ne s’élevait qu’à 20 dollars !
L’éventualité d’un troisième choc pétrolier se dessine lentement, et ne trouvera véritablement son appellation que dans quelques années. Mais on peut d’ores et déjà constater que les pays consommateurs subissent de plein fouet la hausse des prix – assagie, il est vrai, par la cherté de l’euro en Europe -, sans pour autant modifier radicalement leurs modes de vie. Cette conversion à d’autres énergies, dites aujourd’hui renouvelables, s’effectue de manière assez lente et avec parcimonie, comme si la flambée des cours n’était pas si problématique que ça.
Toujours est-il que les interrogations se multiplient quant aux raisons de cette envolée des cours. La progression de plus de 50 % à laquelle on assiste depuis le début de l’année pourrait notamment trouver sa source dans les conséquences de la crise financière. Facteur intervenant davantage à court terme, il peut néanmoins servir d’élément explicatif. De nombreux investisseurs touchés par la baisse des marchés actions se sont donc tournés vers les marchés des matières premières, or noir en tête. La commodité présente en effet l’avantage d’être soumise à de vives tensions: progrès technique exclu, les stocks semblent se réduire inexorablement tandis que la demande ne cesse d’augmenter, provenant de plus en plus des pays émergents et des Etats amenés à se développer. « Le progrès technique permet de produire plus vite, mais au détriment du futur. Le pétrole classique se raréfie (par exemple, le brent de la mer du Nord, dont le champ est quasi épuisé). C’est la fin du pétrole bon marché« , expliquait fin juin à la Vie financière Jean Laherrère, président de l’Association pour l’étude des pics de production de pétrole et de gaz naturel.
Les fluctuations du dollar jouent aussi sur les cours de l’or noir. Les banques centrales des pays exportateurs de pétrole gèrent différemment leurs réserves de changes depuis quelques années, et ne souhaitent plus détenir uniquement du dollar. Une partie des contrats pétroliers, libellés en dollars, est revendue pour acheter de l’euro et du yen, ce qui exerce une pression sur la devise américaine. Plus le dollar baisse, plus la tentation est grande pour les pays producteurs d’entretenir la hausse des cours afin de préserver leur pouvoir d’achat en euros, plus fort. En Chine, le mécanisme est le même, la Banque centrale de Chine convertissant une partie de ses dollars en euros. La banque d’affaires Lehman Brothers estime qu’une baisse de 10 % du dollar entraîne une appréciation de 13 % des cours du brut WTI, côté à New York. « Les prix du pétrole connaîtront une nouvelle hausse dans les semaines à venir. Il nous faut suivre l’évolution du dollar, car une baisse de 1% du dollar signifie 4 dollars de plus dans le prix du pétrole« , i ndiquait le ministre algérien des Mines et président de l’Opep Chakib Khelil début juillet.
La position quasi inflexible de l’Opep, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, qui contrôle près de 40 % du marché, est aussi à mettre en cause. Ses refus systématiques d’accroître de manière significative sa production, même dans le cadre d’un dialogue avec une institution aussi importante que l’ONU, renforcent sa prédominance sur l’évolution des cours. Détenant 75 % des réserves prouvées, le cartel espère se refaire une santé à travers cette hausse des prix, estimant que « demander aux pays producteurs de pétrole d’augmenter leur offre est illogique et irrationnel« selon les mots de son président Chakib Khelil.
A long terme, les craintes d’un « nationalisme pétrolier » entretiennent aussi le caractère haussier des cours. Le président vénézuelien Hugo Chavez a entrepris de nationaliser la production pétrolière, tandis que d’autres Etats travaillent sur cette hypothèse. D’autres facteurs entretiennent également les cours, comme des informations impliquant immédiatement une réaction de la part des marchés. A la moindre attaque sur un site ou à un désagrément climatique, la production peut être perturbée, impliquant de nouveau les investisseurs. Dans un univers globalisé où la demande de pétrole progresse et les échanges se multiplient, ces hausses sont particulièrement malvenues. Mais elles présentent au moins l’avantage de provoquer une prise de conscience quant à la nécessité de trouver d’autres sources d’énergies, bien que la conversion soit longue. Le pétrole s’est hissé jusqu’à près de 150 dollars; aux consommateurs maintenant de réagir. La fin de l’ère du pétrole bon marché ne fait que commencer.