La prise en compte des risques psychosociaux, soulevée par un récent arrêt, se heurte aux difficultés à l’appliquer sur le terrain.
En confirmant, le 19 mai dernier, un jugement rendu en décembre 2009 ayant condamné Renault pour avoir commis une « faute inexcusable », la Cour d’appel de Versailles a réaffirmé l’obligation de sécurité de résultat incombant à l’employeur. Le lien entre le suicide d’un ingénieur, en 2006, et son activité professionnelle a été mise en exergue par les juges, soulignant un « stress important, lié exclusivement au travail réalisé ». Les juges motivent notamment leur décision par le fait de n’avoir « jamais rattaché » les symptômes présentés par le salarié à un mal-être professionnel.
Malgré un accord national interprofessionnel en date de 2008 invitant les entreprises à déployer des mesures visant à réduire le stress lié au contenu et à l’organisation du travail, les actions restent encore, dans leur ensemble, timides et localisées. Le ministère du Travail s’est pourtant emparé du sujet en obligeant, en octobre 2009, les entreprises de 1.000 salariés à négocier des accords sur ce thème. 62% ont déjà signé un accord, tandis que 20% sont concernées par un accord de branche.
Selon un sondage réalisé pour le magazine Entreprise & Carrières, 51% des directeurs des ressources humaines se déclarent mobilisés par le stress et le bien-être au travail, contre 39% en 2010. Les dispositifs d’écoute et de formation des managers font partie des pistes plébiscitées pour parvenir à des avancées sur le sujet. L’engagement d’une « réflexion sur l’organisation » peine pour sa part à convaincre les responsables. La problématique des risques psychosociaux (RPS) s’invite pourtant dans l’ensemble des secteurs, à l’instar de la fonction publique ou de la santé.
« Le problème, c’est que contrairement aux entreprises privées, la fonction publique est encore souvent dans le déni. Elle refuse d’admettre que les fonctionnaires peuvent être soumis au stress », accuse ainsi dans L’Express Patrick Légeron, psychiatre spécialisé sur les RPS. Soumis aux mêmes maux que dans le privé, les fonctionnaires seraient, selon lui, moins bien lotis sur le plan de la prévention. Depuis la remise d’un rapport au ministre du Travail en 2008, il affirme ne pas avoir constaté d’évolutions majeures, les accords impulsés par Xavier Darcos en 2009 ne s’adressant qu’aux sociétés privées. Il soulève par ailleurs la question des compétences managériales dans la fonction publique.
Des enjeux sectoriels et locaux
Au Centre hospitalier régional universitaire de Montpellier, l’heure est au diagnostic. Selon 20 Minutes, le cabinet Technologia, qui est intervenu chez France Télécom et Renault, s’est vu confier une mission par le Comité d’hygiène et de sécurité. Votée après le suicide, en septembre, d’un agent d’accueil des urgences – en-dehors de son lieu de travail -, l’expertise se déploie par le biais d’un questionnaire de 136 questions adressé aux 11.000 salariés de l’établissement, tandis que 200 personnes feront l’objet d’une audition. Le quotidien rappelle que le taux de suicide y est deux fois supérieur à la moyenne.
Les risques psychosociaux ne constituent pas le seul enjeu pour les entreprises en matière de santé au travail, les troubles musculo-squelettiques étant liés à cette question. 80% des maladies professionnelles y seraient rattachées.
Dans le Nord Pas-de-Calais, l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail a notamment conduit une mission sur l’instauration d’outils plus ergonomiques de découpe du poisson dans le Boulonnais, afin de réduire les risques émanant des manipulations. L’adaptation locale de mesures est primordiale, selon Christian Allies, son directeur : « Tout notre boulot est sur la prévention, en montant des opérations individuelles avec des entreprises sur leurs problématiques particulières et ensuite de les capitaliser ». Il s’exprimait à Nord-Eclair.
La prise de conscience, si elle est réelle, reste cependant encore lente à se concrétiser sur le terrain. Signe de l’évolution en cours sur ces questions, les écoles Arts et Métiers ParisTech et Grenoble EM s’apprêtent à proposer, après sélection par le ministère du Travail, une formation sur les risques psychosociaux. L’environnement des salariés étant également incriminé par de nombreux spécialistes, l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée débutera pour sa part prochainement un cursus axé sur la conception de lieux de travail. La sensibilisation demeure, sur de telles questions, le premier moyen d’action.