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Le patriotisme économique réveillé par l’affaire Lactalis

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En tentant de protéger Parmalat, les autorités italiennes illustrent l’ambigüité entre les intentions libérales et la nécessité de défendre un tissu entrepreneurial. La Grande-Bretagne ou la France se distinguent également, entre projets de régulation et déploiement d’un fonds d’investissement.

Lactalis réveillera-t-il les velléités protectionnistes en Europe ? En acquérant mi-mars 11,42% de l’italien Parmalat, le premier groupe laitier français a déclenché les foudres de Rome, qui prépare un arsenal juridique destiné à protéger ses entreprises. L’industriel de Laval, qui détient dans le pays Galbani depuis 2006, défend pour sa part « un projet qui permettrait aux deux groupes, tous deux leaders dans le secteur alimentaire, d’offrir une gamme complète de produits dans les industries laitières » .

Quelques semaines après le rachat du joaillier Bulgari par LVMH (3,7 milliards d’euros), c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour le cabinet de Silvio Berlusconi, qui a déposé un décret-loi permettant de reporter à fin juin la tenue d’assemblées générales pour les firmes italiennes cotées, offrant un délai supplémentaire pour le dépôt de nouvelles offres dans ces deux dossiers. Le ministère de l’Economie se réserve par ailleurs le droit d’envisager d’autres interventions législatives, parmi lesquels l’instauration d’un dispositif anti-OPA permettant l’octroi des mêmes dispositions qu’au sein du pays acquéreur.

Colère de l’Italie

L’ambassadeur de France en Italie, Jean-Marc de la Sablière, a été reçu notamment par Giulio Tremonti, ministre de l’Economie et des Finances, afin de défendre leur tissu entrepreneurial. Lactalis possède certes une implantation transalpine depuis quatorze ans, mais apparait comme une énième firme française qui viendrait faire ses emplettes. GDF Suez possède environ 10% d’une société romaine d’énergie et d’eau, EDF possède, indirectement, 50% de l’énergéticien Edison au côté d’un groupe italien, Groupama et Bolloré sont actionnaires (minoritaires) de la banque d’affaires Mediobanca, Air France détient un quart de la compagnie aérienne Alitalia, Carrefour et Auchan ont racheté deux chaines de supermarchés… : les exemples de firmes françaises s’étant renforcées en Italie sont nombreux.

Selon les calculs du Figaro, sur les cinq dernières années, 3 milliards d’euros d’acquisitions ont été réalisés en France de la part de sociétés italiennes (parmi lesquels le rachat du Printemps par la Rinascente, qui a relancé le magasin du boulevard Haussmann), contre 36 milliards d’euros dans l’autre sens. Un tel déséquilibre suscite les foudres du gouvernement et du gendarme de la Bourse italiens, lequel vient de déclarer « obligatoires » deux OPA, dissuadant Groupama d’entrer au capital d’un assureur.

De la défense de secteurs stratégiques

Le député UMP Bernard Carayon, spécialisé dans les questions d’intelligence économique, a suggéré aux gouvernements européens d’imposer « à la Commission européenne un calendrier et une méthode pour définir ensemble le périmètre des secteurs stratégiques », l’aéronautique, l’énergie, certains éléments du secteur agroalimentaire et les technologies de l’information, un domaine essentiel à l’heure d’Internet, y figurant. Les syndicats se montrent pour leur part peu diserts sur ces rachats : à propos du passage de Yoplait sous pavillon américain (General Mills), le secrétaire général de la CFDT François Chérèque a ainsi estimé que si un fonds « veut investir à long terme avec une politique sociale, [il] ne voit pas où est le problème ».

Afin de freiner ces mouvements, l’organisme britannique de régulation des fusions-acquisitions vient ainsi de préconiser une réduction des périodes au sein desquelles un groupe puisse indiquer qu’il est prompt à faire une offre mais sans passer à l’acte, et offrir un droit d’expression aux salariés. L’OPA hostile de Kraft Foods sur Cadbury, début 2010, avait provoqué un électrochoc en Grande-Bretagne en raison de l’attachement à ce fleuron de l’industrie agro-alimentaire. En France, le gouvernement s’appuie sur le Fonds stratégique d’investissement, crée en 2008 sous l’égide de l’Etat (49%) et de la Caisse des Dépôts (51%). Celui-ci doit voir ses capacités renforcées au cours des mois à venir.

Avec ses fonds annexes, il est engagé à hauteur de 16,2 milliards d’euros dans l’économie française, son appui s’étant notamment fait remarquer sur les questions industrielles au plus fort de la crise. Le FSI souhaite particulièrement pallier le manque de capitaux privés en investissant de manière minoritaire dans des moyennes entreprises à forte croissance, mais est également affublé, de manière plus officieuse, d’un rôle de fonds souverain. Ainsi, selon Les Echos, une structure pourrait être créée avec Sodiaal afin de porter Yoplait, le porte-parole du fonds se contentant d’indiquer à l’agence Reuters que l’entreprise semble éligible à ses critères, contribuant à la « compétitivité nationale » dans son secteur.

Les acteurs économiques gardent en mémoire la convocation du management de Renault par le gouvernement en janvier 2010, convaincant le constructeur automobile de fabriquer partiellement la Clio IV, dès 2013, à Flins (Yvelines) et non totalement en Turquie. Un exemple fort de défense des entreprises au plus haut niveau de l’Etat. La notion de libéralisme économique aurait-elle changé de nature ?

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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