GRAND FORMAT — De nombreuses brasseries ont mis la clef sous la porte l’an passé. Pour celles qui tiennent, l’accent est mis sur des styles classiques, qui remportent l’assentiment des consommateurs. Quelques bières plus spécifiques restent de mise pour une clientèle avertie.
Après une période d’euphorie marquée par un essor continu du nombre de brasseries, la filière bière met brutalement les pieds sur terre. Selon le syndicat professionnel Brasseurs de France, en 2024, pour la deuxième année consécutive, le marché brassicole était orienté à la baisse (environ 3% en volume). En grande distribution, une baisse de 3,3% en volume et de 0,9 % en valeur a été mesurée par le cabinet Nielsen en 2024, sur un an.
Certains segments, tels que la bière sans alcool étaient toutefois orientés à la hausse dans ce circuit (+0,5% en volume). Pis, “la hausse des coûts de production directs et indirects que subissent nos brasseurs depuis plusieurs années, est toujours une réalité, notamment des coûts de l’énergie ou du transport”, explique l’organisation, qui représente 98% de la production française.
La bière craft, “moins prioritaire” pour les consommateurs
Même constat du côté du Syndicat national des brasseries indépendantes, qui alerte sur l’état de ses adhérents, principalement des TPE et un peu de PME. L’organisation prévoit 10% de fermetures de brasseries en 2025, comme en 2024. “Il y a eu la hausse des coûts de l’énergie, et en parallèle, la bière artisanale est moins prioritaire dans les paniers des consommateurs, compte tenu de l’inflation”, observe Sonia Rigal, la déléguée générale du SNBI.
Lors du dernier Salon international de l’agriculture (SIA), fin février 2025 à Paris, l’organisation a pour la première fois tenu un stand pour sensibiliser le grand public et les décideurs, en plus de la présence d’une trentaine de ses adhérents en tant qu’exposants. Les brasseurs regrettent toujours la différence d’accises entre le vin et la bière, mais se félicitent d’avoir été dispensés de licences pour la vente sur place des bières à compter du 1er juillet 2025.
Les bières de volume comme fer de lance
Les savoir-être des consommateurs évoluent, avec toujours une volonté de consommer local… mais sans forcément (trop) bourse délier. Réunis en association, les Brasseurs des Hauts-de-France le constatent. “Il y a une volonté de redécouverte du patrimoine des régions”, constate Emilien Marcot, chef de projet à l’agence lilloise L’Echappée Bière, dédiée au tourisme et au conseil dans l’univers de la bière. Durant le SIA, le process de fabrication des bières a ainsi abondamment été expliqué. “Les brasseurs ont des bières d’image, mais aussi des bières de volume”, rappelle-t-il par ailleurs.

Ludovic Lasserre (La Gorge fraîche)
A Béziers (Hérault), la brasserie La Gorge fraîche, créée en 2014, lance la Meridional sour (5%), une bière incorporant 15% de fruits rouges (framboise, myrtille, cassis). “On voulait faire la bière de l’été”, souligne Ludovic Lasserre, cofondateur. Une bière sirupeuse et résolument accessible, avec beaucoup de gourmandise… mais qui restera sans doute, cet été, une niche. Durant le printemps et l’été, l’équipe concentre sa production sur la bière blonde, écoulée à 90% en fûts. “Le marché va se recentrer sur des bières plus simples”, pense le chef d’entreprise. Ce qui n’empêche pas la fameuse bière blonde d’avoir beaucoup de corps et d’être céréalière, avec de la singularité, et de rencontrer le succès avec une New England Pale Ale (Neipa).
“La blonde, la blanche et l’ambrée reviennent en force”
Dans les Hauts-de-Seine, même constat pour la brasserie Nemeto, qui vend de la bière blonde à hauteur de 70%. Ses clients “ne sont pas des beer geeks”, mais plébiscitent La Folie, une IPA (5,5%) qui renouvelle le genre avec du poivre de Timut. A Saint-Cyr-les-Colons, dans l’Yonne, “la blonde, la blanche et l’ambrée reviennent en force” dans les ventes de la micro-brasserie La Vaugermaine. “Les bières artisanales retrouvent de l’intérêt par rapport aux bières industrielles, mais avec des styles classiques”, témoignent ses fondatrices. Fin 2024, elles ont cependant lancé une Neipa (5%), résolument désaltérante et finement amère.
A Notre-Dame-d’Oé (Indre-et-Loire), La P’tite Maiz a orchestré le lancement de Total Recold (6%), une cold IPA hyper fraîche, éloignée des codes traditionnels de l’IPA. Une IPA “de soif”, taillée pour être servie en pintes. “Les gens font plus attention à ce qu’ils boivent, en étant vigilants sur les prix, mais restent curieux. Il faut justifier ce que l’on vend”, témoigne Christophe Le Gall, propriétaire.
“Les consommateurs locaux suivent” sur des bières traditionnelles
Aux Sables-d’Olonne (Vendée), Pierre Brodu, de la brasserie Opé, souligne qu’il a “toujours eu une gamme classique, et que les commandes sont toujours majoritairement réalisées sur la lager”. La Summer Pale ale, une bière de soif, a quant à elle été médaillée cette année.

Un aperçu de la gamme des Brasseurs de Lorraine.
A Pont-à-Mousson, en Meurthe-et-Moselle, Régis Bouillon, à la tête des Brasseurs de Lorraine, remarque que, “malgré une conjoncture difficile, les consommateurs locaux suivent”. La blonde, l’ambrée et bières aromatisées (à la mirabelle, par exemple) figurent en tête des ventes. Exemple avec la best-seller, la 14-18, une bière blonde, ainsi qu’avec une bière blonde vraiment douce et facile d’accès, la Noiraude. La bière de printemps tire aussi son épingle du jeu. Contrairement à de nombreuses autres brasseries, “l’IPA est un plus” dans la gamme, et non parmi le cœur des références.

Arrêt Buffet – BapBap
Reprise par la structure des cidres Appie à l’été 2024, la brasserie francilienne BapBap “est sortie depuis un an des bières geek”. La gamme permanente a été clarifiée, avec une mise en avant de la Passerelle, une lager bio, et une nouvelle recette de l’hefeweizen maison, baptisée 2 Rives. Désormais, les bières éphémères sont relancées plus ponctuellement qu’auparavant, à l’image de la nouvelle Arrêt Buffet (5,2%), une Irish Pale Ale brassée avec des ingrédients français, à l’occasion de la Saint-Patrick. Une bière dense, portée sur le caramel, avec des tannins et du chêne.
Des nouveautés malgré tout…
Ce recentrage de la demande pour des bières moins exubérantes – et aussi moins chères que certaines références qui ont pu faire la course aux derniers houblons ou ingrédients en vogue, avec moins d’à-coups dans les ventes, également – n’est toutefois pas un frein pour innover.

IPA 0.0 – Meteor
En témoigne le lancement d’une IPA 0.0 par Meteor. La brasserie d’Hochfelden (Bas-Rhin) a désalcoolisé son IPA classique (6,2%), “avec un beau nez sur les agrumes et les fruits exotiques, et une vraie sensation de désaltération”, remarque Sébastien Duban, brand ambassadeur. Au nez, la bière est très fruitée. En bouche : citron, écorces d’orange. L’attaque est assez sèche, avant d’aller vers davantage de douceur. Les houblons Simcoe et Teorem ont été utilisés. Un vrai gap dans les bières sans alcool, en reprenant un style en vogue, sans fausse note. Autre nouveauté, le rebranding de la bière d’abbaye (6,8%) Wendelinus en Meteor Wendé, pour la rapprocher de la marque principale. “Les gens reviennent aux fondamentaux”, poursuit Sébastien Duban en rappelant que le succès de la pils ne se dément pas depuis… 1927.
…avec toujours une belle part pour l’IPA et le sans alcool

Fruit cancan – Demory Paris
Depuis sa brasserie de Bobigny (Seine-Saint-Denis), parallèlement à la Prodigieuse, une pale ale sans alcool, Demory Paris a lancé Fruit Cancan, une belle red fruit ale (6,2%), qui permet de mettre facilement un pied dans la bière grâce à ses notes intenses de fruits rouges. Une Double IPA (8%) a rencontré un franc succès, tandis qu’une West Coast et une East Coast reviendront prochainement.
A Tarare (Rhône), Ninkasi, dont l’empreinte est solide avec ses bières et ses spiritueux, a pour sa part vu sa French IPA (5,4%) se hisser en tête des ventes. Une dynamique que la PME espère poursuivre avec une déclinaison en canettes. A Gravigny (Eure), une IPA sans alcool (0,4%), en dry hopping, est quant à elle brassée depuis un an par la brasserie Spore.

Perlita
Pour sa part, à Strasbourg (Bas-Rhin), la brasserie Perle a préféré créer une “eau houblonnée”, nommée Perlita. “Il s’agit d’une boisson alternative, mais avec une signature de brasseur. Nous n’avons pas créé une bière désalcoolisée, mais une boisson gazéifiée infusée au houblon, sans fermentation”, décrit Christian Artzner, propriétaire et chef brasseur. Un produit très houblonné, résolument adapté à une consommation en pintes, disponible en bouteilles et, sur place, à la pression. La Compagnie des boissons vivantes a passé commande pour approvisionner ses clients en région parisienne.
Tensions dans le whisky
La France est le premier producteur de spiritueux de l’Union européenne, rappelle la Fédération française des spiritueux. Le secteur compte 95% de PME. Près de 4 millions de tonnes de matières premières agricoles sont achetées chaque année.
Du côté du whisky français, “le nombre d’ouvertures de distilleries s’amenuise. On compte environ 130 distilleries, avec au moins un fût en vieillissement. Le whisky français est la seule catégorie à progresser en grandes et moyennes surfaces. Il faut que cette catégorie gagne en stature”, souligne François Viguier, le secrétaire général de la Fédération du whisky de France. Les entreprises du secteur des spiritueux éprouvent “des difficultés à répercuter la hausse des coûts de production”, ajoute-t-il. Côté environnement, la mention bio, pour le whisky et plus globalement pour les spiritueux, peine à avoir de l’effet sur les ventes.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.