Depuis Caen, au salon Cidrexpo, focus sur des start-up du cidre, le rapprochement avec le marché de la bière et les incursions plus fréquentes chez les cavistes de cette boisson à l’image encore traditionnelle.
Matériel, recettes, distribution : « le cidre d’aujourd’hui n’est plus le cidre d’hier », souligne Sophie Ammann, directrice du salon Cidrexpo, et cidricultrice en reconversion après une carrière dans l’industrie. Organisé à Caen (Calvados) pour la deuxième fois les 26 et 27 mars, il a notamment permis à de « jeunes pousses » de prendre contact avec les professionnels, à l’instar de l’Atelier Constant Berger, sis à Herve… en Belgique.
« Nous sommes situés sur un terroir qui produit beaucoup de fruits, mais qui n’a pas de tradition cidricole. Nous travaillons avec des pommes à couteau, portées sur l’acidité et la légèreté », indique Léandre Berger, cofondatrice. En 2019, l’entreprise a débuté en distillant des fruits (avec une sublime eau-de-vie de mirabelle, par exemple) puis s’est mise au cidre, en achetant ses pommes auprès d’une centaine de producteurs, essentiellement particuliers. Le cidre brut (6%) se révèle très juicy et frais, tandis que l’on retrouve l’un des marqueurs forts du paysage belge – la bière – à travers Magma (6%), un cidre auquel ont été ajoutés les houblons Centennial et Challenger à l’issue de la fermentation. Un cidre acidulé, qui bénéficie « d’un apport d’astringence.» Un parti-pris houblonné qui passe un cap avec le Haute Voltige (7,6%), un « beer & cider hybrid » : 50% de bière blonde, 50% de cidre, sans ajout de levure, avec l’ajout final d’houblon Citra, immédiatement perceptible au nez et en bouche.
Côté start-up, il est aussi possible de partir découvrir, en Alsace, René-Sens, à Biederthal (Haut-Rhin), avec quelques poires qui tombent côté suisse ! Sous la marque Cidre du Sundgau, place aux pommes avec la cuvée Rouge (6,67%), « pensé pour faire du volume, rinçant et fluide », décrit Léo Deyber, cofondateur. Un cidre qui a de la mâche, décliné en fûts, et aussi élaboré à base de pommes à couteau, issues de vieux vergers familiaux. Avec le cidre Bleu (6,3%), la dégustation s’effectue autour d’un cidre à base de pommes séchées durant trois semaines, avant un vieillissement de trois mois et demi en six barriques de pinot noir et de riesling dont le contenu a, in fine, été assemblé. L’entreprise créée en 2021, qui a lancé ses premiers produits en 2022, travaille par ailleurs à façon pour des restaurants. On ne retrouve pas de bulles dans le cidre Noir (7%), passé huit mois en barriques de vins d’Alsace (assemblage de pinot noir et de riesling), plus tendu et plus vineux.
Une carte à jouer pour les cavistes
Une large palette de cidres, loin des clichés sur la dégustation lors de moments festifs ponctuels, qui n’étonne pas Sophie Ammann : « aujourd’hui, on a un marché du cidre très large, avec du «traditionnel», des maisons qui sont installées depuis un certain temps mais ont su évoluer, et d’autres maisons qui changent les codes avec de la macération ou des cidres tranquilles). La disponibilité à la pression est un phénomène qui monte, et qui et ouvre pas mal de portes en cafés-hôtels-restaurants en plus du format 33cl et de la canette, encore anecdotique. » A Cametours (Manche), Cidre Lemasson a entamé ce mouvement vers la pression dès 2001, avec son cidre (4,5%) sans gazéification, qui bénéficie d’une prise de bulles en cuves closes, au sein de lesquelles la fermentation va dégager du gaz carbonique.
« Le marché britannique représente 40% des ventes mondiales de cidre. Les produits y ont une teneur en pomme moindre, et nous avons des raisons, en France, de défendre certains principes, avec des terroirs très spécifiques. Pour autant, sous l’angle du consommateur, le cider pèse localement 20% du marché de la bière, ce qui est loin d’être le cas en France », constate Laurent Doubet, directeur de marché international chez Eclor. En plus d’un repositionnement d’Ecusson sur le bio et de Loïc Raison sur le food pairing, cette dernière marque sera dotée au printemps d’un « cidre houblonné », tandis que La Mordue, un « hard cider », a pour mission de toucher les jeunes avec une présence massive dans les bars et en format 33cl, loin de la bouteille 75cl débouchée en famille.
Une évolution du paysage qui peut bénéficier aux cavistes. « Sur nos linéaires, le temps du cidre est arrivé », veut croire Marc Pottier, caviste à Argentan (Orne) et président régional de de la Fédération des cavistes indépendants. Après le flop du hard seltzer, il préfère miser sur un produit rassurant : « on sait ce qu’il y a dedans. » La qualité de conseil des cavistes doit leur permettre de se différencier, malgré des ventes principalement réalisées en grande distribution, autour de marques de distributeurs. Fondateur du distributeur Cidrea, Renaud Michal, issu de la supply chain dans la Marine nationale, cible les cavistes avec l’expédition de six à douze bouteilles de chaque référence, leur permettant d’élargir leur offre sans prendre trop de risques, à rebours de la palette. Pour autant, « il faut que les gens mettent plus d’argent dans le cidre », appuie Marc Pottier.
Renouvellement des styles et des générations
Le cidre se renouvelle par ailleurs au niveau des effectifs. A Carville-Pot-de-Fer (Seine-Maritime), une exploitation familiale en polyculture-élevage depuis cinq générations a vu l’éclosion, en 2020, d’une cidrerie, La Mare aux pommes, sous la houlette de Grégoire Delamare (à droite sur la photo), devenu cidriculteur après une formation… en viticulture. 6 hectares de pommiers ont été plantés, en agriculture bio, et deux autres sont en projet cette année. Le cidre demi-sec est élaboré à partir de 80% de pommes Guillevic, une variété « qui apporte beaucoup d’arômes fruités », et de 20% de pommes Petit jaune pour la fraîcheur. Un cidre aux très belles notes toastées, voire caramélisées en fin de bouche. « Parmi les cidriculteurs, on a de plus en plus de femmes », ajoute Sophie Ammann, avec le point de vue de Cidrexpo, qui est né d’un collectif de producteurs de pommes et poires.
Puisqu’avec les pommes, les possibilités semblent infinies, des « jus infusés » (fleurs d’hibscus bio séchées, infusés dans du jus de pomme à froid ; et pomme/menthe) sont proposés, sans alcool, par la Mare aux pommes, tandis que Maison Sassy commercialise depuis un an un cidre 0.0% sans fausses notes. Même si le sans alcool était timidement présent sur le salon (avec une polarisation vers des cidres plus forts), il s’agit d’une tendance à suivre. Autre atout du cidre : « il s’agit d’un produit qui prend sa source dans le verger », insiste Sophie Ammann. De quoi garder les pieds sur terre.
Le calvados se sublime en cocktails
Les pommes à cidre sont aussi au cœur de la production de calvados. Barman indépendant et intervenant pour l’Interprofession des appellations cidricoles (Idac), Guillaume Six a élaboré des cocktails originaux, faciles à reproduire en bar.
Ainsi, Terre-Mer est un cocktail composé de fine de calvados, de jus d’ananas, de jus de citron pressé, d’une feuille d’huître et d’un trait de sirop de sucre. « L’huître fonctionne bien avec le citron et la pomme granny smith », illustre Guillaume Six, qui recommande de servir ce drink aux notes iodées et juteuses dans un verre de type old fashioned. La fine de calvados est également à retrouver dans la recette du Yummy Pie, à réaliser au shaker, avec du jus de cerise amarena, de la crème liquide à 30% (« On est en Normandie »), du jus de pommes et du citron vert. Un cocktail très onctueux, à servir en dessert dans une flute à champagne (15cl hors crème).
A réaliser au verre à mélange, le Mister Pim’s (clin d’œil aux célèbres gâteaux) se compose pour sa part de calvados VSOP, d’un bitter cacao aztèque (Fee Brothers, distribué par CBH), et de sirop d’érable. Au nez, le drink s’avère particulièrement biscuité, avant de retrouver de franches notes de cacao en bouche. Les amateurs d’old fashioned ne seront pas dépaysés par l’aspect sec, au premier abord, du cocktail.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.