A Pont-l’Evêque (Calvados), la maison Christian Drouin assure une large part de ses opérations. Elle bénéficie de la reprise du circuit on-trade, en plus de sa puissance à l’export.
A la sortie de Pont-l’Evêque, les noms des maisons de calvados s’affichent sur la route. Christian Drouin n’échappe pas à la règle. Dans un vaste corps de ferme du XVIIè siècle (photos ci-dessous), racheté et remis en état en 1991-1992, l’entreprise (25 salariés, dont une quinzaine sur le site) a établi son siège, et assure la distillation, une partie du vieillissement, et des opérations d’embouteillage pour ses produits (calvados, eau-de-vie de cidre, pommeau, cidre, poiré). Une cidrerie y a été aménagée en 2013.
Son site historique de Gonneville-sur-Honfleur (Calvados), crée en 1960 par Christian Drouin (Christian Drouin fils a rejoint l’affaire familiale en 1969, et Guillaume Drouin, représentant de la troisième génération et aujourd’hui PDG, est arrivé en 2004) a pour sa part été doté ces dernières années d’un espace de stockage et de chais. Un troisième site de production est présent à Domfront depuis 1992. A Honfleur, un entrepôt de préparation de commandes a été inauguré en 2022.
La France, marché le plus dynamique
De quoi répondre au bel essor de la maison Christian Drouin, qui produit plus de 180 000 bouteilles par an de calvados. 75% de la production est exportée. En dépit des tensions actuelles, la Russie constitue toujours le premier marché de l’entreprise, devant le Japon et les Etats-Unis. En Europe, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Suède et l’Italie sont d’importants débouchés, même si la France constitue le marché “le plus dynamique”. “Les trentenaires veulent découvrir de nouveaux produits”, constate Guillaume Drouin.
Depuis quatre ans, hors 2020, les ventes en France progressent en moyenne chaque année de 30%. Cette année, les restaurants et les bars à cocktails sont de nouveau des comptes importants pour l’entreprise, après la période 2020-2021 marquée par des ventes satisfaisantes chez les cavistes lorsque le réseau on-trade était à l’arrêt. En se promenant dans le vaste verger de la ferme de Pont-l’Evêque, des portraits de bartenders sont affichés, tirés du livre de cocktails Calvados cocktails inspiration édité en 2019. La plupart de ces professionnels ont, entre-temps, changé d’employeur, mais continuent de travailler avec les produits.
Pour répondre à la demande des bars à cocktails, un gin a par ailleurs été lancé en 2016. 60 000 bouteilles en sont aujourd’hui produites chaque année. Chaque botanique est travaillé séparément, soit neuf distillations et macérations.
Le réchauffement climatique scruté de près
En apercevant au loin le four à pain de la ferme, remis en état il y a quatre ans et animé chaque semaine par des boulangers, la traversée du verger permet également de faire le point sur l’impact du changement climatique. La récolte des pommes s’étend traditionnellement de septembre à décembre. Cette année, elle a débuté avec quinze jours d’avance, à compter du 15 septembre. “Durant cet été 2022, en Normandie, on se serait cru sur la Côte d’Azur, ironise Guillaume Drouin. Je n’aime pas les années trop chaudes, parce que l’on perd en finesse.”
Parmi les soixante variétés de pommes, Bedan se distingue par son goût de banane. Une curiosité que peuvent découvrir les nombreux visiteurs reçus tout au long de l’année sur le site. La maison Christian Drouin mixe sa propre production et des achats, pour utiliser environ 600 tonnes de fruits par an afin de fabriquer du calvados Pays d’Auge.
D’avril à septembre, des vaches entretiennent les herbages et contribuent à secouer les arbres, faisant tomber les fruits véreux en début de saison. “Le calvados est un des spiritueux les plus vertueux pour l’environnement”, poursuit Guillaume Drouin, bilan carbone à l’appui – réalisé en 2020 par un cabinet externe : 2,9 kg de CO2 étaient alors captés par bouteille de 70cl produite. 200 kg de CO2 étaient émises à l’année par l’entreprise, et 600 kg captés.
Un travail constant sur le vieillissement
Parmi les nombreuses pièces de la ferme, celles destinées au vieillissement valent le détour – elles permettent aussi d’en savoir plus sur la philosophie de la maison. “Le chêne va donner de la couleur, des arômes et des tannins au calvados. On ne travaille pas avec des fûts neufs, dont je trouve l’apport trop puissant”, expose Guillaume Drouin. Chaque année, avec son père, il procède à la dégustation des produits contenus dans environ 1200 fûts.
Le calvados, qui nécessite un minimum de deux ans de vieillissement, change de fûts tous les deux à trois ans. Historiquement, des fûts de xérès et de porto étaient utilisés. Des fûts de vin de Bordeaux, de nouveau toastés, sont aussi employés pour bénéficier de la qualité du bois. La part des anges (l’évaporation) coûte 3,5% des stocks par an. Un mal pour un bien : “plus le calvados s’évapore, plus il se concentre, et plus il va s’arrondir. On ne fait pas de grandes eaux-de-vie sans un bon vieillissement.”
La distillerie Caroni à l’honneur
La maison Christian Drouin cultive également cet art du vieillissement à travers sa gamme Experimental, lancée courant 2020 : des éditions limitées bénéficiant de passages en fûts d’exception. Après les 1296 bouteilles de calvados vieillis en fûts de rhum Hampden Estate et les anciens fûts de bourbon préalablement utilisés pour les besoins d’un single malt à la distillerie japonaise Mars (930 bouteilles), c’est une icône du rhum qui est de nouveau à l’honneur en cette rentrée : la distillerie Caroni (Trinité et Tobago), en activité de 1918 à 2003.
Six fûts de Caroni 1996 ont été remplis d’un calvados Pays d’Auge de 17 ans, huit mois durant. Résultat : un calvados (48,8%) très puissant avec, au nez, des arômes proches du pétrole et de pomme rôtie. “J’ai choisi un calvados qui était très puissant pour faire face aux fruits exotiques du Caroni”, explique Guillaume Drouin. En bouche, un produit marqué par des notes grillées résolument originales. 1506 bouteilles ont été produites (124 euros, distribution : La Maison du Whisky), déjà vendues.
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