Cuvées rares et de haute volée pour Salon, accords gourmands pour Delamotte : ces deux maisons de champagne du groupe Laurent-Perrier cultivent leur singularité sur un marché au beau fixe. Reportage.
Au Mesnil-sur-Oger (Marne), les maisons de champagne Salon et Delamotte, filiales du groupe Laurent-Perrier, se jouent de la crise, ou presque. « Nous avons enregistré un développement quasi-exponentiel en 2020 et en 2021. Après le premier confinement, la demande est repartie comme une fusée en juin 2020 », se réjouit Didier Depond, président (photo). 95% des ventes sont effectuées à l’export, à commencer par le Japon, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Sur le marché français, le circuit cafés-hôtels-restaurants (CHR) est ciblé afin de permettre aux touristes de retrouver leurs produits favoris. « Actuellement, nous n’avons plus de produits à vendre », regrette-t-il toutefois.
La faute, notamment, à un allongement significatif des délais de livraison des matières sèches, à commencer par les bouteilles : commandées au printemps, elles ne devraient arriver qu’en octobre. « Nous devons faire patienter nos clients. » Mêmes difficultés pour les étiquettes. Depuis le début de l’année 2022, la hausse des coûts de ces produits et du transport est évaluée en moyenne à 30%. La désorganisation du fret maritime pénalise aussi l’activité.
Salon mise sur la rareté
Pour autant, l’optimisme reste de mise avec le lancement, il y a huit mois, du millésime 2012 du champagne Salon, à hauteur d’environ 50 000 bouteilles. Spécificité de la marque : elle est réservée à certains établissements du circuit CHR et aux cavistes traditionnels. Les produits ne sont lancés exclusivement que « les bonnes années ». La précédente livrée date de fin 2019, avec la commercialisation du Salon 2008, qui n’avait été proposé qu’en magnum, dans une imposante caisse réunissant trois autres cuvées – une stratégie délibérée pour freiner la demande. Des magnums seuls seront disponibles l’an prochain.
Pour le Salon 2012, le sourcing reste ultra-local, avec des raisins seulement récoltés au Mesnil-sur-Oger, à 12 kilomètres d’Epernay et 40 kilomètres de Reims, dans la Côte des Blancs. Un champagne 100% chardonnay qui a pour leitmotiv « le sourire », avec un palais très ouvert lors de la dégustation et une incroyable douceur. Le nez est frais, équilibré, avec des notes de fleurs blanches. Un vin à déguster tout au long de l’année, suggère Didier Depond : « il n’y a plus vraiment de saison pour le champagne, hormis en France où la tradition le cantonne aux instants festifs. »
Une très belle longueur en bouche est par ailleurs à noter lors de la dégustation du Salon 1997, mis sur le marché dix ans plus tard suite à son vieillissement sur lies. Un champagne très fruité, aux notes de confiture d’orange, de noix et de noisette. A déguster notamment avec du fromage (brie, maroilles, chaource).
Sur la marque Salon, « les prix s’envolent. » De quoi en souligner la rareté. Les ventes ont débuté en 1921, et seules 37 cuvées ont été produites au cours du 20ème siècle. Eugène-Aimé Salon (1867-1943), issu d’une famille modeste, est monté à Paris pour effectuer de petits jobs, avant d’entrer dans le commerce des peaux et fourrures au sein de la maison Chapelle. A l’âge de 25 ans, il était millionnaire. Ayant acquis des parcelles en Champagne, il a fait réaliser un vin pour sa consommation personnelle, à son goût, avant d’en lancer la commercialisation. Besserat de Bellefond, Pernod Ricard et, en 1988, Laurent-Perrier, ont par la suite pris le relais.
Chez Delamotte, un Blanc de blancs gourmand
Également dans le groupe depuis 34 ans, Delamotte est la cinquième plus ancienne maison de champagne (1762). Elle est passée entre-temps par la maison Lanson, par le biais d’un jeu d’héritage. Au fil des années, « nous n’avons jamais augmenté le nombre de bouteilles », précise Seunghwa Lee, hospitality manager. Les vins rassemblent les trois cépages de la champagne, et passent un minimum de 36 mois sur lies avant le dégorgement.
« Passeport à l’export », le Blanc de blancs est résolument moelleux et minéral. Exception à la règle : le millésime 2014 est en 100% chardonnay. Une cuvée de prestige à déguster avec un foie gras ou des fruits de mer. En dessert, il demeure possible d’effectuer une ligne droite dans les accords avec, sans surprise, un fraisier en superposition du Delamotte Rosé (rosé de macération, 80% pinot noir et 20% chardonnay).
Un remuage manuel
Une immersion dans l’univers du champagne qui passe aussi par la découverte de ses savoir-faire. Caviste-remueur depuis 17 ans, Jérémy Rondelle arpente sans relâche les caves de la bâtisse, où la présence de la craie attire instantanément le regard (de la vigne jusqu’à 6 mètres sous le sol). Durant six semaines pour chaque bouteille, il effectue une rotation manuelle afin de rassembler les dépôts pour chaque goulot. Les bouteilles sont basculées comme une horloge. « Je n’ai pas développé de tendinite, mais les bouteilles de Salon sont compliquées à remuer, le verre étant très épais et n’étant pas lisse », explique-t-il.
L’équipe de Salon et de Delamotte suit par ailleurs avec attention l’évolution du changement climatique, les vendanges ayant été avancées à fin août-début septembre. Dans les vignes, la certification HVE 3 a été renouvelée l’an dernier.
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