Triple NEIPA, imperial stout, hazy session, barley wine… La richesse des styles de bière est toujours d’actualité, rappellent les brasseurs rencontrés au Paris Beer Festival, portés par le redémarrage des bars et l’essor de la canette.
Résilience, tel est le maître-mot des brasseurs ayant participé, début septembre, au Paris Beer Festival, la fête de la bière artisanale dans la capitale. Un événement qui a réuni une cinquantaine de brasseries françaises. “Nous avons fortement relancé la production en privilégiant nos clients locaux. A peine sorties, certaines de nos bières sont déjà en rupture”, se réjouit Lucas del Biondo, cofondateur d’Hoppy Road, à Maxéville (Lorraine). La PME compte porter son effectif de quatre à sept personnes.
“Nous n’avons pas vraiment eu de temps mort depuis le premier confinement, grâce aux canettes. On sent vraiment la demande repartir dans les bars et les restaurants”, indique-t-on chez Popihn, installé à Vaumort (Yonne) depuis la fin 2016. “Nous avons traversé la crise en dents de scie, mais nous en sortons correctement”, commente Benoît Rizenthaler, gérant de la brasserie de la Pleine Lune, à Chabeuil (Drôme), créée en 2011 et qui compte quatorze personnes.
A Vaux-sur-Lunain (Seine-et-Marne), la priorité de Crazy Hops (trois personnes, contre quatre auparavant) est de vendre les stocks des bières les plus fragiles. Moins de bières fortement houblonnées, pourtant la spécialité de la brasserie, sont produites, afin de privilégier des références se conservant mieux. “La reprise du CHR nous a remis sur pied”, poursuit Antoine Gautier, gérant de la brasserie Goutte d’Or, à Paris. Avant la crise, la restauration et l’événementiel représentaient 40% des clients en direct, grâce à des liens tissés avec les acteurs du food. L’export (Japon, Italie…) est, lui, en plein essor avec des distributeurs indépendants.
Le crowdfunding, toujours d’actualité
D’autres brasseries ont eu recours au crowdfunding. A Châlons-en-Champagne (Marne), La Fabule a failli disparaître à l’hiver dernier, face à des problèmes de trésorerie et à l’impact de la crise. Créée en 2016, la brasserie (3 personnes) a levé 44 000 euros fin janvier 2021. 50% des ventes étaient réalisées en CHR. Les stages de brassage n’ont pas encore repris.
A l’opposé, à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), l’équipe de L’Instant, qui a démarré en 2017 avec une petite unité avant de basculer en gipsy brewing (Rabourdin, Deck & Donohue…), a obtenu un accord de financement pour son installation fixe, avec des cuves qui doivent arriver d’ici à la fin octobre. L’un des principaux défis a été de trouver… une entreprise de bâtiment. Le projet accuse un an de retard en raison de la crise. Une chape de béton de 18 cm a dû être coulée. Une campagne de financement participatif avait précédé, en mai 2020.
Des IPA plus puissantes
Ces péripéties n’ont pas empêché les brasseurs de continuer à renouveler leur gamme, pour le plaisir de consommateurs de plus en plus avertis. Un côté végétal se dégage immédiatement de la World of Hops #4 (6,5%) de L’Instant, une Cryo NEIPA qui envoie du lourd. “L’idée même de la New England IPA était d’apporter une touche hyper-aromatique, avec une touche de type jus de fruit, contrairement à l’aspect plus résineux d’autres bières”, rappelle Cédric Brottier, cofondateur. A l’opposé, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), Outland a relancé une West Coast IPA. Une bière qui s’inscrit dans la nouvelle stratégie de sortie de canettes (par trois références, tous les deux mois): une bière de la “nouvelle école” (New England, Hazy…), une bière de la côte ouest américaine (plus amères ou résineuses), et une troisième qui fait le bilan des deux.
“En dix ans, le secteur est passé de la bière belge à une diversité complètement incroyable”, observe Benoît Rizenthaler. La brasserie de la Pleine Lune a lancé la Lunedertaker, en collaboration avec la brasserie ardéchoise Haarddrëch. Une Old school IPA (7%) à la belle amertume. “Il faut retrouver un équilibre entre les céréales, les levures et les houblons (ici, Citra Cryo, Citra, Centennial, Columbus, Cascade, Chinook, ndlr).” A Bois d’Arcy (Yvelines), O’Clock Brewing propose une White IPA (7%), une bière blanche au blé qui se distingue avec ses houblons Citra et Mosaic (au moins 5 kg par brassin de 24 hl). Plus proche d’une Hefeiweizen qu’une IPA en bouche, elle a une très belle attaque.
Chez Hoppy Road, on mise sur la Sabro 666, une Triple NEIPA (9,5%) en collaboration avec la Biérothèque (Haute-Garonne), très puissante, à ne pas mettre entre toutes les mains. Dans le Val d’Oise, Hespebay commercialise la Napata (6,2%), une east coast IPA très dense. Grâce à l’ajout de blé et d’avoine, la bouche est assez ronde. “Nous avons voulu mettre en avant le houblon Sabro, encore peu utilisé dans la brasserie française, et qui est pourtant un houblon très complet en ce qu’il est aussi complexe et expressif au nez qu’en bouche”, précise l’équipe. La Hop Breeding Company, qui l’a créé, est à l’origine des houblons Citra et Ekuanot, aussi utilisés.
En Charente, les Brasseurs cueilleurs se distinguent pour leur part grâce à une IPA à la rose, l’Epine rétro (6%): l’emploi de la rose apporte de la douceur. La bière reste longtemps en bouche. La brasserie, créée en 2016, s’est faite une spécialité de piocher dans la nature avec des fruits et végétaux locaux.
Tout en légèreté
Pour les amateurs de bière, en-dehors de ces styles, à Romainville (Seine-Saint-Denis), la brasserie Mir, qui écoule 50% à 70% en direct par l’intermédiaire des marchés et de sa taproom du week-end, a représenté la tour hertzienne de la ville, à l’aspect résolument spatial, sur l’étiquette de la Iouri (5,7%) une red rye ale aux belles notes torréfiées grâce au seigle ainsi qu’à une infusion à froid de malt chocolat. Très légère, elle est au contraire résolument chaleureuse au nez.
A Paris, les Bières de Belleville suggèrent de déguster la Piaf (3,9%), une bière de table, “la blonde que l’on vend dans les bars”. En dépit de son faible taux d’alcool, elle a beaucoup de corps. Même principe avec la Dog Days (3,3%) de 3ienchs (à Saint-Maur des Fossés, dans le Val-de-Marne), une hazy session qui a pour intérêt de pouvoir se boire facilement, tout en retrouvant la sensation des bières bien houblonnées. A Montreuil (Seine-Saint-Denis), Croix de Chavaux Brewery apporte une touche plus végétale avec une berliner weisse basilic thaï, la Riot Basil (3,8%), assez acide.
Retrouver le plaisir des stouts
Pour monter en puissance, commencer en douceur par la Sweet stout (6,8%) de La Fabule permet de s’adonner à la dégustation d’une bière intense, onctueuse, proche du cacao torréfié, tout en restant très accessible. La Stout Mof Kawa (8,6%) de Petite Couronne (à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine) est, elle, portée sur le goût du café froid, en collaboration avec Patrick Moshtael, meilleur torréfacteur de France, installé à Colombes, ville d’origine de la brasserie. L’imperial dark saison de la Brasserie Nautile (à Rezé, en Loire-Atlantique), Leonarde (8,5%) permet également de retrouver cet esprit.
Très loin de Fleur noire (12%) de Fauve Craft Bière (Paris) : vanille, cacao, fève tonka. Une imperial stout “au double empâtage, pour concentrer les arômes dans un même volume”, précise Antoine Robic, cofondateur. Toujours dans la capitale, la Brasserie de l’Être facilite l’approche de ce style avec la Magnus Amplectaris (11%) : flocons d’épeautre, flocons d’avoine et vanille pour une bière bien plus douce qu’il n’y paraît. On terminera sans doute le repas par l’élégant Barley wine (12%) d’O’Clock Brewing, passé en fûts ex-bourbon durant 6 à 12 mois selon le batch.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
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