Vents contraires sur l’immobilier d’entreprise. La généralisation du télétravail a induit à la fois un besoin moins fréquent, sur certains métiers, de se rendre sur site; tandis que les bureaux doivent être repensés pour répondre aux nouvelles contraintes sanitaires, et favoriser la collaboration dans un contexte d’épuisement pouvant être ressenti face la multiplication des visioconférences. Sophie Pène, directrice Workplace Change du groupe Kardham, spécialisé dans l’immobilier (conseil, architecture, design d’espaces), décrypte cette nouvelle donne.
TRIBUNE. “Après ces longs mois de télétravail forcé, on pressent l’avènement d’un nouvel équilibre entre développement significatif du télétravail et nouvelle envie de venir au bureau : comme toute recherche de nouvel équilibre, elle est source de complexité. Si les collaborateurs viennent moins souvent travailler dans les murs de l’entreprise, il s’agit de savoir quand ils s’y rendent et pour quoi faire. Et s’il est admis que les attentes portent avant tout sur le lien social, on aurait tort de ne penser qu’à la fonction sociale et collaborative du bureau. Les entreprises doivent se saisir de l’ensemble des vocations du lieu de travail pour repenser leurs aménagements : un lieu de cohésion, de ressources, d’efficacité mais aussi un lieu ambassade qui fédère autour d’intérêts communs.
Des raisons multiples de revenir au bureau
Retourner au bureau implique tout d’abord de s’affranchir de l’idée que le corps social de l’entreprise est homogène. Les collaborateurs ne sont pas tous égaux dans leur volonté ou leur besoin opérationnel de revenir au bureau. Les personnes qui exercent un travail individuel pourraient exercer leur activité plus aisément de chez elles, tandis que les salariés à tendance collaborative ont tendance à vouloir revenir en entreprise. Quand les premiers reviennent, c’est essentiellement pour participer à des réunions d’équipes, tandis que les seconds continuent de faire ce qu’ils faisaient déjà, c’est-à-dire aller de réunions en réunions. Il faut aussi analyser les attentes en fonction de là où l’on se sent mieux pour travailler. Ainsi, certains collaborateurs veulent revenir au bureau parce que mal installés à domicile. L’évolution des pratiques avec des raisons différentes de venir au bureau selon les profils redimensionne donc les environnements de travail : pour toutes les raisons ci-dessus évoquées, les espaces de travail doivent conserver des zones de travail individuel, même si de manière générale on note une augmentation de l’espace dédié au collaboratif avec des espaces de corpoworking.
Ces derniers s’adressent à la fois à ceux qui ont besoin de se poser entre deux réunions, comme les salariés à tendance collaborative, mais aussi à ceux qui travaillent de manière individuelle et qui viennent en dehors du temps d’équipe. On observe aussi une plus grande exigence quant aux ressources (matériauthèque, espaces de reprographie, etc.) mises à disposition, afin d’offrir une expérience optimale et fluide sur le lieu de l’entreprise. La notion de temps et de territoire d’équipe est également importante dans ces nouveaux aménagements hybrides. Ainsi on voit désormais apparaître des espaces réservables à la journée ou à la semaine, là où ils étaient attribués auparavant dans le temps long. Enfin, l’appropriation métiers des espaces de travail étant plus prégnante, il s’agit de permettre à chacun, au travers notamment d’un mobilier flexible, de pouvoir reconfigurer son espace, le temps de sa venue.
Envisager une nouvelle expérience utilisateur
Concevoir des espaces de travail pour donner envie de revenir au bureau suppose donc de réunir toutes les conditions pour créer une nouvelle expérience utilisateur. En ce sens, le digital a un fort rôle à jouer. Il doit sécuriser la venue, fluidifier l’utilisation des espaces, offrir un continuum présentiel / distanciel, promouvoir la créativité, élargir les possibilités d’échanges, faciliter le partage de connaissances et simplifier le travail collaboratif. Dans l’aménagement digital des espaces de travail, réfléchir d’abord à l’usage plutôt qu’à l’outil est donc essentiel. L’entreprise doit désormais considérer ses bureaux comme des espaces d’usages (récréatif, d’accueil, de travail individuel, de réunion, de sociabilisation, etc.) et les aménager en fonction de ce que chacun va y faire au cours d’une journée. Par ailleurs, il faut prendre en compte qu’une partie des équipes est sur place et une partie à distance et il n’est pas pensable que les expériences des uns ou des autres soient dégradées. Le digital n’est pas seulement un outil permettant de mieux collaborer à distance. En entreprise, à domicile ou dans un tiers-lieu, l’expérience doit être fluide et de qualité.
Enfin, il est essentiel d’accompagner l’évolution des pratiques managériales. Depuis longtemps on s’accorde à dire que l’environnement de travail est un levier de management. Mais ce n’est pas une baguette magique non plus. Ce n’est pas parce que l’on travaille dans un espace ouvert que l’on collabore plus. Comment faire pour que tout le monde ne vienne pas en même temps mais qu’il y ait quand même des moments de partage collectif ? Comment faire respecter les règles notamment si les espaces sont de plus en plus mutualisés ? Comment animer le lieu ? Comment s’organiser pour que la circulation d’information et le partage de connaissances continuent ? etc. Il est essentiel d’accompagner les managers sur l’ensemble de ces problématiques. Certaines réponses existent déjà, du management par objectifs au neuro management, mais de manière générale il s’agit de co-construire les modalités de retour au bureau au cas par cas, selon la culture d’entreprise et les enjeux de développement propres à chaque organisation.”
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