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“La restauration livrée est un métier à part entière, qui nécessite des process dédiés”

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Livreur de repas à moto

Tous réseaux confondus, la restauration a perdu 31 milliards de chiffre d’affaires en 2020 (-35%). Seuls 20% des repas hors-domicile sont aujourd’hui liés au contexte professionnel, et les restaurants d’entreprise ne représentent désormais que 9% des repas pris sur le lieu de travail. En parallèle, le chiffre d’affaires de la restauration livrée a bondi, passant de 3,9 milliards d’euros en 2019 à 4,9 milliards d’euros en 2020. Les clients réguliers pèsent pour 50% des utilisateurs des services de livraison. Si 94 % des restaurateurs indépendants disposant d’une offre de livraison jugent les taux de commission trop élevés, 47% estiment qu’ils ont permis de sauver leurs affaires. François Blouin, président et fondateur du cabinet Food service vision, leader du conseil et des études sur le marché de la restauration, décrypte ce paysage remodelé.

Comment a évolué le marché de la restauration livrée ces dernières années ?

Le phénomène de la livraison à domicile était antérieur à la crise. Les consommateurs étaient déjà intéressés, il y a deux ans, par le service ; les restaurateurs commençaient à s’y mettre, et les investisseurs s’y penchaient. Le marché de la restauration livrée (indirecte, ou de façon classique par les chaînes traditionnelles et les indépendants) est estimé à 4,9 milliards d’euros en 2020, en croissance de 47% par rapport à 2018.

De quelle manière les différents épisodes de la crise sanitaire ont-ils transformé les habitudes ?

Le premier confinement a marqué un ralentissement de tous les modes de consommation en restauration, y compris en livraison, puisqu’il y avait un déficit d’offre. Au début du premier confinement, les grands réseaux de burgers s’étaient quasiment tous arrêtés, à l’exception de quelques enseignes et d’indépendants. Dès le mois d’avril 2020, un certain nombre de restaurateurs se sont préparés à ouvrir en format livré. Cette initiation a permis aux consommateurs de découvrir l’offre. Au deuxième confinement, il y a eu une très forte accélération de la consommation, et depuis le début de l’année, la croissance est également très forte. Le pourcentage des Français qui se faisaient livrer au moins une fois en un trimestre est passé de 40% au quatrième trimestre 2019 à 46% au quatrième trimestre 2020. Le couvre-feu a accéléré le mouvement : à 18 heures ou 19 heures, les points de vente sont fermés, et cela soutient ce segment.

“Il est recommandé d’avoir une offre dédiée”

Quelle place occupent les plateformes sur ce marché ?

Les plateformes représentaient 70% des commandes en 2020, contre 50% des commandes en 2019.  Elles ont pris une part plus importante dans le poids des commandes des acteurs qui livraient déjà (pizzas, sushi…), et elles ont référencé de nombreux établissements nouveaux sur la plateforme. En janvier 2021, on référençait 37 000 restaurants sur ces plateformes. Il y a aussi 4500 marques virtuelles, qui coexistent. Ce sont de nouvelles pratiques de consommation qui se combinent au binge watching (séries, matches…), et des investisseurs soutiennent l’essor.

Quid des commissions prises par les plateformes ?

Certains restaurateurs considèrent que la commission des plateformes de livraison (environ 30%) vient en équivalence des coûts du service en salle. Beaucoup d’acteurs choisissent d’augmenter les prix pour compenser en partie le coût de la commission. Toutefois, les consommateurs sont relativement jeunes, et disposent de pouvoirs d’achat limités. Il est recommandé d’avoir une extraction de la carte pour la livraison, et une carte plus complète lorsque les restaurants rouvriront sur place.

Quelles nouvelles organisations sont requises par le passage en restauration livrée ?

Proposer de la restauration livrée est un véritable métier, différent de la livraison sur place. Les restaurateurs doivent s’adapter en repensant leurs menus, avec des plats qui arrivent avec un certain niveau de qualité et de rendu. Les consommateurs souhaitent recevoir chez eux des produits qui correspondent à leurs attentes, et les moins déceptifs possibles. C’est plus important que d’avoir un choix incroyable. Cela suppose aussi d’acheter des emballages adaptés. Il faut aussi une mise en place très anticipée, avec parfois de la demande pour des plats similaires instantanément. Les professionnels de ce métier ont déjà une conception de plats pensés dès le départ pour pouvoir être transportés, par exemple avec des frites qui tiennent mieux. L’organisation touche toute la précision de la capacité à produire vite durant le service. Il y a aussi la gestion des flux : il faudra des points de vente permettant de gérer simultanément le flux des consommateurs sur place (à la reprise), le flux de la vente à emporter et le flux des livreurs. Les drives restent quant à eux des lieux très importants dans les fast-foods, même si le confinement et le couvre-feu ont atténué le phénomène.

“De nouveaux entrants se positionnent sur le marché des dark kitchens”

Les dark kitchens sont-elles réservées aux nouveaux entrants ?

Aujourd’hui, ce sont surtout des nouveaux entrants, pure players, qui se positionnent sur ce métier. Les premières dark kitchens sont apparues en 2017-2018. Nous l’avions observé dans nos veilles internationales il y a un peu moins d’une dizaine d’années aux Etats-Unis, et à Chicago en particulier. Il fallait répondre à une demande de restauration livrée, dans des lieux dépourvus. En France, cela s’est accéléré très fortement en 2020. Ce sont des lieux uniquement pour ne faire que de la livraison livrée. On y trouve plusieurs offres possibles dans la même cuisine. C’est une forme de cuisine centrale propice à envoyer sa production vers des consommateurs différents. En France, on comptait 70 lieux qui, en janvier, opéraient 400 enseignes différentes. Chaque lieu a environ six offres différentes.

Existe-t-il des barrières à l’entrée ?

Certains entrepreneurs commencent à proposer à des grandes enseignes de restauration d’opérer leur dark kitchen. Cela crée des multitudes de façons de penser la restauration. Le marché de la dark kitchen est assez complexe. Il faut des investissements particuliers, et un savoir-faire de maîtrise du produit et de la relation avec les agrégateurs. Cela se rapproche d’un modèle de fournisseurs de produits agroalimentaires qui, pour toucher leurs consommateurs, passent par des distributeurs. Les dark kitchens gèrent ce risque de dépendance avec plusieurs partenaires livreurs, d’autres en click & collect… pour sécuriser leurs relations et développer leur propre clientèle.

Face à l’essor du télétravail, quelles réponses apporter ?

La généralisation du télétravail affecte très fortement la restauration. Bon nombre de consommateurs ne sont plus là, notamment dans les quartiers d’affaires. Dans les quartiers résidentiels, durant ce troisième confinement, certains consommateurs sont allés s’installer à la campagne ou chez leurs proches, et d’autres zones bénéficient de ce report. La restauration collective est aussi en pleine introspection. Il y aura moins de salariés présents dans les bureaux, dans les métiers tertiaires, mais on ne sait pas dans quelle proportion. La vente à emporter, les repas livrés depuis l’entreprise… pourraient induire des changements de modèles. Beaucoup d’acteurs de la restauration collective vont tester de nouvelles offres.

Quelles sont les attentes des professionnels pour préparer les prochaines étapes ?

Nous accompagnons la croissance et le développement d’acteurs structurés du marché. Nos clients nous sollicitent beaucoup sur la prospective et l’anticipation de l’état du marché sur la séquence “d’après”, et l’adaptation de leurs offres. Nous travaillons aussi sur l’accompagnement stratégique, et l’innovation afin de préparer des offres de nouveaux produits et de nouveaux services, notamment digitaux.

Photo: Rowan Freeman via Unsplash

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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