Insaisissable Nico de Soto ! Propriétaire de Mace (ouvert à New York en 2015), de Danico (Paris, 2016) et de Kaido (Miami, 2018), il est en permanence entre deux avions afin de pouvoir piloter l’activité de ses bars à cocktails renommés et d’assurer des missions de consulting. Il revient sur son parcours et nous livre son regard sur la profession.
Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai commencé à l’âge de 28 ans dans le secteur. Après un DUT informatique et avoir fait du mannequinat, je suis parti en Australie en 2005. J’ai pris à cette occasion un emploi dans un bar, et je me suis rendu compte qu’il y avait des cocktails classiques, de meilleurs alcools… en me documentant. J’ai ensuite travaillé au China à Paris puis j’ai participé à l’ouverture du Mama Shelter en tant que chef barman avec Joseph Akhavan (septembre-octobre 2008). Je suis entré ensuite à l’Experimental cocktail club avant de repartir en Amérique du sud, à Vancouver puis à New York. Ensuite, l’Experimental a ouvert à Londres, puis à New York en 2012. Je suis resté pendant un an et demi, avant de rentrer à Londres. Nous avons essayé d’y créer un bar avec des amis. A New York, Mace a ensuite ouvert. Danico a été lancé à Paris en 2016 puis Kaido à Miami deux ans et demi plus tard.
Quelles sont les caractéristiques de vos bars ?
Mace est un bar sur le thème des épices, dans des bocaux. Il est designé comme un modern spiceshop, un bar de quartier mais avec des recettes poussées. Le Danico est né de l’association avec des amis. L’emplacement était une ancienne boutique de Jean-Paul Gautier. Il est positionné entre un bar de ville et un bar d’hôtel. Kaido est un cocktail lounge, doté d’une cuisine. Il s’inspire beaucoup de saveurs japonaises sur la carte. Le design est inspiré des bars punks de Tokyo.
« Le Danico est presque davantage connu à l’étranger qu’à Paris »
Quel regard portez-vous sur le développement de la scène cocktail parisienne ?
Le cocktail est réellement arrivé à Paris en 2007 avec l’Experimental Cocktail Club, qui a apporté l’aspect speakeasy que l’on connaissait depuis 2000 à New York. Les Français mettent plus de temps. Au Danico, nous avons régulièrement été nommés, nous sommes dans le Top 100 des meilleurs bars mondiaux. Un nouveau classement, Discovery (bars et restaurants), nous intègre également. Nous sommes presque davantage connus à l’étranger qu’à Paris ! La presse française a du mal à parler du secteur. A l’ouverture, les journaux se sont intéressés au restaurant attenant, le Daroco, mais pas au bar. Quand je suis arrivé à New York en 2010, alors que je sortais de nulle part, j’ai eu cinq articles en six mois !
Qu’est-ce qui a fait mouche à Paris, et sur quels points doit-on progresser ?
A Paris, la scène cocktail s’est très fortement développée, avec des barmans qui parlent anglais, qui ont de l’expérience… Même les hôtels se rattrapent. Les bars qui ont une ambiance festive et jeune ont capté leur public. Les bars à cocktails en format speakeasy sitting only éprouvent plus de difficultés. Pour autant, il n’y a jamais trop de bars à cocktails ! Il y en a moins à Paris que dans certains quartiers de Tokyo ou de New York. Ce qui fait que ça pourrait prendre, c’est le temps. 13 ou 14 euros pour un cocktail, ce n’est pas si cher.
Quelle démarche doivent faire les consommateurs français ?
Ce qui manque, c’est une question de culture. Si la presse rendait notre secteur plus cool et plus visible, ce serait plus pratique ! Nous avons des bars dans le Top 50. Les meilleures scènes dans le monde sont à New York, Londres, Singapour, Tokyo et Paris ! Nous avons des bars avec des gens qui délivrent un bon service. Nous avons des bars avec des cocktails très simples, plus compliqués, sans carte… Ce n’est pas facile de bouger d’une culture bières et vins vers une culture cocktail ! Le Français n’est pas le plus curieux : il a du mal à déroger de ce qu’il connait (mojito, caipirinha…) Au Danico, le descriptif des recettes est simple : la méthode, le goût, pas de marques, et le type de verre. Le menu n’effraie pas. Nous disposons d’un lexique détaillé à la fin de la carte.
« Les bartenders doivent avoir le sens de l’hospitalité »
Comment observez-vous les bartenders qui arrivent dans le secteur ?
Avec l’accès à l’information, un barman peut progresser facilement. Les livres (on peut remplir une bibliothèque entière), Internet et les bar shows partout dans le monde permettent de se former. Les jeunes qui arrivent dans le bar ont un bien meilleur niveau de base qu’il y a dix ans ! Toutefois, ils sont nombreux à vouloir brûler les étapes : partir directement à l’étranger, travailler dans les plus grands bars… immédiatement. La meilleure expérience dans le bar, c’est de voyager et d’être ouvert. Il ne faut pas hésiter à partir à l’étranger, perfectionner son anglais, rencontrer des gens… C’est le moyen de communication indispensable. Le voyage apporte de l’expérience, et il change les gens !
Quels aspects du bar souhaiteriez-vous voir évoluer ?
J’aimerai bien faire évoluer l’hospitalité. Un bar, ce n’est pas forcément ce qu’on sert dans un verre, mais aussi le service : les barmans qui tirent la gueule ne devraient pas travailler derrière un comptoir. A partir du moment où tu communiques avec le client, tu lui sers de l’eau, tu t’en occupes… Ce n’est pas facile, mais ça passe par le recrutement et par la formation. Le bar, c’est de l’hospitalité.
Quelles sont vos inspirations actuelles en matière de cocktails ?
Mes cocktails s’inspirent beaucoup de saveurs culinaires, que je transcris dans mes calepins. L’alcool n’est qu’un élément du cocktail. Récemment, le pandan m’a fortement plu. Il s’agit d’une plante d’Asie du Sud-Est. The New York Times en a parlé. L’ambassade des Philippines m’a remercié de l’avoir mis en avant ! J’ai vraiment un lien avec cette saveur, que j’ai découvert en Indonésie, où elle est très utilisée. Pour Noel, je prévois un milk punch inspiré du carrot cake. Je prévois aussi un cocktail nitro cold brew, avec de fines bulles de nitrogène.