La succession de records concernant les cours du pétrole trouve ses racines immédiates dans un contexte financier particulier (baisse des taux de la Fed et faiblesse du dollar), une baisse des stocks américains, l’arrêt d’installations pétrolières situées dans le golfe du Mexique avant le passage annoncé de tempêtes tropicales, et les tensions à la frontière entre la Turquie et l’Iran. Selon le Département américain de l’Energie, lors de la semaine qui s’est achevée hier, les réserves de brut ont diminué de 3,9 millions de barils à 312,7 millions de barils (un baril représente 158,98 litres).
Deux grands types de pétrole font office de référence sur les marchés. Le brut, côté à New York sous l’appellation de West Texas Intermediate, est extrait des gisements et n’est pas raffiné lors de sa cotation. Les bruts les plus recherchés, donc aux prix les plus élevés, sont les plus légers. « En termes physiques, le WTI n’est qu’un brut américain négligeable, qui représente 200.000 barils sur une production mondiale de 56 millions de barils. Mais, en termes boursiers, il constitue l’un des deux contrats pétroliers de référence avec le brent et s’échange deux fois plus que ce dernier« , expliquait le 22 octobre dernier aux Echos Frédéric Lasserre, responsable de la recherche sur les matières premières à la Société Générale. Le Brent, pour sa part, est le pétrole de référence en Europe et en Afrique. Le gisement éponyme de la mer du Nord est devenu un mélange de bruts côté sur le marché à terme londonien.
Ce n’est pas la première fois que les prix du pétrole affolent la scène internationale. La création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), le 14 septembre 1960, a pour origine une volonté de stopper la baisse des prix du pétrole liée à une diminution du dollar sur le marché des changes. L’Iran, l’Arabie Saoudite, le Venezuela, l’Irak et le Koweit inaugurent le groupe, rejoint les années suivantes par le Qatar, l’Indonésie, la Libye, et trois pays africains (l’Algérie, le Nigeria, l’Equateur et le Gabon). Les cours du brut sont multipliés par quatre en quelques mois à la suite du déclenchement de la guerre du Kippour, en 1973: les producteurs arabes décrètent un embargo contre les pays, dont les Etats-Unis, qui soutiennent Israël. On assiste au premier choc pétrolier. L’embargo sera levé en 1974.
En 1979, le second choc pétrolier survient à la suite de la révolution iranienne. Les islamistes renversent le Shah, provoquant une perturbation des approvisionnements en provenance du golfe Arabo-Persique. Afin de maintenir le niveau des cours, des quotas de production sont fixés pour la première fois en 1982. Un contre-choc pétrolier se produit en 1986: les prix du pétrole s’effondrent à la suite d’une hausse de la production de l’Arabie Saoudite. Le baril chute de 30 à 15 dollars. En 1997, le scénario se répète: les cours chutent de 40% suite à l’augmentation de 10% de la production de l’Opep.
En 2003, l’Irak réintègre l’Opep à la suite de l’intervention de la coalition américano-britannique. L’ouragan Katrina détruit en 2005 certaines interventions pétrolières off shore dans le golfe du Mexique. En 2007, les 95 dollars le baril sont pulvérisés, affichant ainsi des niveaux jamais atteints. La chute des réserves américaines de brut, annoncée de semaine en semaine, stimule les cours.
Le spectre de l’épuisement
Selon le cercle Energy Watch Group, créé par le député Vert allemand Hans-Josef Fell, le pic pétrolier, à savoir l’instant où la moitié des réserves de brut de la planète ont été épuisées, aurait été atteint en 2006. L’extraction pétrolière diminuerait depuis de 3% par an, un chiffre qui tombe au plus mauvais point. Le dynamisme de la croissance mondiale, située à environ 5%, est poussé par la demande en hausse constante de la part des pays émergents, Chine et Inde en tête. Tandis que les économies développées tentent de trouver des alternatives à l’or noir, ces pays tirent la consommation vers le haut. « La baisse bien plus importante que prévu des réserves de brut a propulsé le pétrole à de nouveaux records. Il continue d’y avoir une crainte qu’il n’y ait pas assez de pétrole en réserve« , indique à l’AFP Bart Melek, analyste chez BMO Capital Markets.
Christophe de Margerie, PDG de Total, pointe pour sa part le manque de volonté des pays producteurs. Il s’exprimait début septembre au Financial Times: « Le monde a changé. Il y a la volonté pour un certain nombre de pays de garder leurs réserves pour le long terme. Ils gagnent suffisamment d’argent avec leur production, et ils sentent qu’il est bon pour leur peuple de conserver leurs réserves pour l’avenir… Ils ne veulent pas les exploiter trop vite« .
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole ne juge pas utile de relever sa production de brut, annoncée à 500.000 barils par jour à compter du premier novembre. L’Opep préfère faire porter le chapeau aux difficultés rencontrées par les raffineries, comme il est indiqué dans son dernier rapport: « Ces dernières années, les marchés de produits ont fait face à une forte correction baissière en septembre, pesant sur l’ensemble du complexe pétrolier. Cependant, cette tendance a été significativement atténuée cette année du fait d’importantes maintenances saisonnières dans le bassin Atlantique et par des préoccupations sur le front des tempêtes, qui se sont manifestées sur la seconde moitié de septembre« .
La faiblesse du dollar et des tensions géopolitiques en ligne de mire
La corrélation entre les cours du dollar et ceux du pétrole, sur le WTI et le Brent comme exposé ci-dessus, ne cesse de progresser depuis 2005. « Je suis de ceux qui pensent que la faiblesse du dollar explique la hausse du brut. Alors que les stocks de l’OCDE augmentent, que la demande est revue à la baisse, que la production de l’Opep augmente et que la saison des ouragans est relativement clémente, c’est le dollar qui semble bien être la principale explication« , analyse Anatol Feygin, responsable de la stratégie matières premières de Bank of America.
Les banques centrales des pays exportateurs de pétrole gèrent différemment leurs réserves de changes depuis quelques années, et ne souhaitent plus détenir uniquement du dollar. Une partie des contrats pétroliers, libellés en dollars, est revendue pour acheter de l’euro et du yen, ce qui exerce une pression sur la devise américaine. Parallèlement à cette corrélation, le marché « craint les conséquences d’une possible intervention militaire de la Turquie contre les rebelles du Parti des travailleurs kurdes (PKK) réfugiés en Irak, de l’autre côté de la frontière« , indique l’AFP. Le transport des hydrocarbures est à relier à ce problème: les détroits surchargés de pétroliers doivent faire l’objet d’une surveillance accrue afin de protéger l’or noir. 40 millions de barils de pétrole transitent quotidiennement les océans.
Les réactions du marché en question
« Ce serait trop simpliste de dire que c’est l’OPEP qui fixe les prix. Ceux-ci sont en réalité le résultat d’une interaction entre l’annonce d’une quantité de production fixée par l’OPEP et l’interprétation que le marché fait de cette annonce. Si le marché estime que les quotas ne sont pas respectés par les pays membres et que l’annonce n’a aucune valeur, la déclaration de l’OPEP n’aura pas d’impact sur les prix. […] Chaque fait, petit ou grand, provoque sa litanie de supputations : les traders se préoccupent non pas d’avoir une interprétation correcte des faits, mais d’anticiper l’interprétation que vont en avoir les autres acteurs du marché ! », expliquait en décembre 2002 au Monde Robert Malbro, à la tête de l’Oxford Institute for Energy Studies. La crise du subprime est aussi à ajouter à la longue liste de paramètres pouvant expliquer cette flambée des cours du pétrole. Après des prises de bénéfices, certains investisseurs se sont rabattus sur les marchés des matières premières.
« Le super-cycle mondial d’investissement, alimenté par les immenses besoins des nouveaux géants de l’économie globale, devrait durer de nombreuses années, et même dans les pays de l’OCDE, nous croyons que le cycle est très loin d’être terminé. Par conséquent, nous prévoyons une hausse significative des prix du brut à partir de 2009« , font savoir Eric Chaney, chef économiste Europe chez Morgan Stanley, et son homologue américain, Richard Berner, dans le cadre d’une analyse publiée sur le site de la plate-forme intellectuelle Telos. Les prix à la pompe n’ont pas encore suffisamment augmenté pour provoquer un changement de comportement des consommateurs. Cette transition constitue l’inconnue la plus importante de l’univers pétrolier.