Après avoir écumé les brasseries du Nord Pas-de-Calais et d’Alsace, Gabriel Thierry, accompagné du photographe Benjamin Keltz, a parcouru les routes bretonnes. Un moyen de concilier sa passion pour la bière (il brasse de la bière en amateur depuis six ans) et d’explorer sa région – il est aujourd’hui journaliste à Paris. « Le breuvage, qui a éclipsé le cidre, devient un incontournable de la région », observe-t-il dans « La bière bretonne : histoire, renaissance et nouvelle vague » (Editions du Coin de la rue). « Tout ce qui guide les brasseurs pères du réveil de la bière bretonne, c’est le goût de leur breuvage », ajoute-t-il.
Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser à l’essor de la bière bretonne ?
Je suis originaire de Rennes. J’ai commencé à travailler pour Ouest-France, et j’ai déménagé en 2009 dans le Nord Pas-de-Calais où je suis devenu pigiste. J’avais déjà commencé à découvrir différentes bières. Dans cette région, j’ai commencé à plonger dans la bière artisanale, mais on ne parlait pas encore de craft beer ! Avec une collègue photographe, Eléonore Delpierre, nous faisions beaucoup de reportages. Notre livre est paru en 2011, avec une trentaine de brasseries visitées en région Nord Pas-de-Calais. Ensuite, nous avons poursuivi sur la bière d’Alsace (en 2013). Étant rennais, j’étais persuadé qu’il fallait parler de la bière bretonne.
Comment avez-vous défriché l’offre ?
Nous avions recensé, en 2016, 95 brasseries bretonnes, puis ce nombre a encore grimpé ! Nous n’avons pas pu visiter toutes les brasseries. Nous voulions problématiser, avec un livre qui raconte l’attachement des Bretons à la bière bretonne. Nous avons notamment distingué les «petits industriels» (Lancelot et Britt, qui sont les deux plus grosses brasseries bretonnes), les «agriculteurs brasseurs» (La Bambelle, dans le Morbihan, qui produit son orge et le malte, par exemple), les brasseurs innovants qui s’inscrivent dans la tendance du craft.
Vous rappelez que la Bretagne est pionnière dans le retour en force de la bière…
La première microbrasserie française (1985), Coreff (à Morlaix, puis à Carhaix, dans le Finistère), est bretonne, en raison d’une proximité de la région plus forte avec les îles anglo-normandes. Ses créateurs faisaient, dans les années 1980, des marathons au Pays de Galles. Par ailleurs, les Bretons sont sensibles au consommer local. La Bretagne reste l’une des grosses régions brassicoles, mais n’est pas une région historique sur ce segment. Les bars qui la distribuaient avaient un engagement militant. Même avec, pendant un temps, des problèmes de qualité, les clients sont restés fidèles à Coreff. Il s’agit aujourd’hui d’une grosse brasserie bretonne qui s’exporte – j’invite d’ailleurs les parisiens à faire un tour au Ker Beer, le nouveau bar breton situé près de Montparnasse.
… et qu’elle figure aux origines de son développement en France.
Les premières traces d’un brasseur breton datent de 1624, avec un émigré irlandais, John Fagan. Il n’y pas de document qui prouve pour le moment l’existence de brasseries plus anciennes. La Bretagne n’est donc pas une terre historique de bière, mais elle le devient : en ville, on boit de la bière ; à la ferme, on boit du cidre. Puis la consommation de bière se généralise. De nombreuses brasseries ouvrent, puis, comme partout en France, ce tissu de brasseries bretonnes se réduit à la portion congrue au fil de la concentration du secteur. Kerinou ferme en 1981, les Brasseries nantaises ferment en 1987, l’usine rennaise de Kronenbourg a fermé en 2003… Ces fermetures, et les pertes d’emplois qui vont avec, ont été durement ressenties à l’époque.
Quelles perspectives peut-on entrevoir ?
De nombreuses brasseries locales ont vu le jour dans le sillage de Coreff. En empruntant aux styles belges, anglais, allemands et maintenant américains, elles ont introduit une diversité à la sauce bretonne dans le goût des bières produites en Armorique. Ces brasseries sont la tête de pont d’une filière qui se met en place, avec des producteurs d’orge, des malteries et désormais des producteurs de houblon. Ils ensemble, à terme, brasser une bonne bière bretonne avec un maximum de matières premières locales.
Photo : Michel Guyot de Saint Michel