A la faveur de la crise, les Etats déploient un arsenal de mesures censées renforcer leurs entreprises. Les aides aux entreprises et le jeu des mécanismes de change deviennent des armes aussi puissantes que les traditionnelles barrières douanières, perturbant le principe du libre-échange. Les marges de manœuvre de l’OMC apparaissent limitées.
Un repli des banques vers leur pays d’origine pourrait « conduire à une nouvelle forme de protectionnisme, à un recul de la mondialisation et à une baisse des échanges commerciaux et des activités entre pays, auxquels succédera rapidement le retour au vieux protectionnisme commercial du passé. Ce n’est pas le moment de prendre seulement des mesures individuelles, nationales pour faire face à la crise financière mondiale« , s’est alarmé le Premier ministre britannique Gordon Brown à l’occasion du forum de Davos, qui s’est tenu la semaine dernière. La crise économique fait en effet ressurgir le spectre du protectionnisme, selon lequel l’Etat ou un groupe d’États interviennent dans l’économie pour protéger leurs entreprises et aider leurs produits. Lors de la crise de 1929, on avait assisté à une résurgence de ces mécanismes.
En juin 1930, le président Herbert Hoover a instauré aux Etats-Unis le Smoot-Hawley Act, mettant en place des droits de douane sur plus de 20.000 produits importés. En réponse, de nombreux pays ont aussi relevé leurs taxes à l’importation, provoquant un fort recul des échanges internationaux. La plupart des économistes s’accordent aujourd’hui à dire que cette politique a alors accéléré la Grande Dépression. Pour l’économiste Charles Kindleberger (1910-2003), les Etats-Unis auraient du, au regard de leur hégémonie, conserver un marché ouvert, mettre en œuvre un système de changes fixes, et proposer une politique de prêts anticycliques. A la différence de la crise de 1929, au cours de laquelle les matières premières constituaient l’essentiel du commerce international, ce sont désormais les produits manufacturés qui s’arrogent la plupart des échanges. La consommation et les ménages apparaissent donc davantage concernés.
Dans le cas de la crise actuelle, les aides massives aux banques apparaissent comme les plus sensibles. « On ne peut pas autoriser des aides qui ne soient pas compatibles avec les règles de la concurrence. Si on accepte qu’un pays donne des milliards à ses banques cela pose un problème de concurrence déloyale qui peut détruire les banques les plus saines« , mettait en garde en décembre dernier le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Pour obtenir le plus large consensus possible, les Etats mettent en avant le rôle de financement de l’économie joué par les banques et le fait qu’ils proposent principalement, comme c’est le cas en France, des prêts. Avec des taux d’intérêt à 8 %, la France pourrait même tirer parti de l’opération. Mais, au-delà du seul secteur financier, l’industrie est aussi touchée par la crise.
Obama suscite les craintes de nombreux dirigeants
En période de crise, « les secteurs industriels qui souffrent et ceux qui ont capacité suffisamment grande à se faire entendre peuvent obtenir des aides directes, sans que l’on sache si elles sont conformes à l’intérêt général« , pointe du doigt dans Le Monde Pierre-Cyrille Hautcoeur, professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Les aides aux entreprises, en passe de supplanter les barrières douanières dans le palmarès des mesures protectionnistes, sont en effet à manier avec précaution. Au-delà de leur caractère bénéfique pour une industrie particulière, elles favorisent certaines entreprises au détriment d’autres. En-dehors de cette période délicate pour l’activité, c’est la notion même de compétitivité qui s’impose. Les Etats-Unis semblent même prêts à aller plus loin si le contexte économique le justifie, comme l’a indiqué le nouveau secrétaire au Trésor, Thimothy Geithner: un plan de nationalisation des banques n’est désormais plus exclu.
Depuis l’élection de Barack Obama, la première puissance économique mondiale suscite désormais l’admiration mais aussi les craintes des dirigeants à travers le globe. Après huit années marquées par une administration républicaine, le retour d’un Président démocrate à la tête des Etats-Unis est observée avec prudence. « Ce que nous pourrions faire de pire dans la conjoncture actuelle serait d’adopter des mesures qui fermeraient nos économies et dresseraient des barrières protectionnistes. Ce serait une erreur dévastatrice« , avait ainsi indiqué le Premier ministre canadien Stephen Harper en prélude à l’élection. Le Canada réalise 77 % de ses échanges commerciaux avec son voisin américain et ne souhaite pas subir le contrecoup de politiques trop marquées. Pourtant, ce ne sont pas moins de 176 programmes de soutien pour préserver les métiers de la métallurgie et des activités extractives qui ont été présentées lors de la campagne.
En Chine, les multiples dévaluations du yuan ont provoqué l’ire de multiples leaders sur le globe. En Grande-Bretagne, la réduction de la valeur de la livre face à l’euro a favorisé les exportations britanniques, les produits vendus en livres devenant de fait plus compétitifs. Mais, contrairement au protectionnisme douanier sur lequel elle a fondé son action, l’Organisation mondiale du commerce ne peut pas intervenir sur ce terrain, tout comme le Fonds monétaire international, dont les marges de maneouvre sont réduites depuis la fin de la convertibilité du dollar en or depuis 1971. Au-delà des rétorsions de type douanières et des subventions, les manipulations de change s’annoncent cependant être la nouvelle arme des Etats tentés par des mesures protectionnistes. L’absence de règles efficaces et mondiales sur cette possibilité devient, de fait, problématique.
Aux Etats-Unis, une clause contestée
Un élément du plan de relance américain provoque de vives réactions de la part des principaux partenaires commerciaux ainsi que de l’OMC. Le projet, adopté par la Chambre des représentants, proscrit l’achat d’acier ou de fer étranger, sauf si l’offre intérieure ou insuffisante ou fait progresser la facture finale de plus de 25 %. Il s’agit d’un « très mauvais signal qui va à l’encontre de tous les appels des dirigeants du G20 contre le protectionnisme« , s’est ému Pascal Lamy.