Une ascension effrénée suivie d’une chute aussi imprévisible que spectaculaire : en l’espace de dix-huit mois, la situation s’est renversée sur le front des prix du pétrole. A l’heure où des tensions géopolitiques suscitent un remous des cours, Problématiques revient sur ces mouvements.
« A moyen et à long terme, un problème d’accès à l’énergie fossile va se poser avec de plus en plus d’intensité. Nous devons donc nous projeter dans ce contexte où il n’y aura plus assez de pétrole pour faire face à la demande », expliquait récemment Christophe de Margerie, président de Total. En dépit de la chute des prix enregistrée depuis l’été dernier – le baril de pétrole WTI a perdu 65 % de sa valeur en six mois -, le patron du groupe pétrolier réaffirme sa volonté de se développer vers d’autres sources d’énergie, notamment renouvelables. La raréfaction des quantités de pétrole disponible fait partie des éléments invoqués entre la fin 2007 et la mi-2008 pour expliquer la rapide flambée des cours enregistrée à cette époque.
Le peak oil, à savoir le moment où le pic de production aurait été atteint et que cette dernière commencerait à décliner, aurait déjà été atteint. C’est du moins ce qu’expliquait en juin 2008 Jean Laherrère, président de l’Association pour l’étude des pics de production de pétrole et de gaz naturel : « la production de pétrole va connaître un pic, ou plutôt un plateau, avant de décliner. Ce pic s’est déjà produit dans de nombreux pays comme aux Etats-Unis (en 1970) et en mer du Nord », indiquait-il alors. Durant la montée des prix, la hantise d’un épuisement proche des réserves était donc d’actualité, alors que les spécialistes avaient à de multiples reprises relevé leurs prévisions, passant progressivement de vingt à quarante ans. Cette peur du manque d’or noir a permis aux entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables de susciter de nombreuses convoitises.
La spéculation a également figuré au rang des facteurs haussiers. « Quelle est la part de la spéculation dans l’envolée des cours ? Difficile à dire. Certains l’estiment entre 10 et 20%. Mais cela ne doit pas masquer la tendance de fond : les prix du brut sont en hausse depuis des années. L’effet de la spéculation est plutôt dans la volatilité des marchés », expliquait à la même période à Mediapart Jean-François Gruson, chef économiste à l’Institut français du pétrole. L’une des principales raisons avancées a été le report d’investisseurs, fragilisés par la baisse des marchés actions, sur le segment des matières premières, entretenant la hausse des cours. Mais une cause, du même ordre, est à rechercher à plus long terme : entre 2003 et 2008, la part d’opérateurs financiers sur le Nymex, la bourse new-yorkaise spécialisée dans l’énergie et les métaux, s’est accrue de 25 % à 45 %. La récente remontée du dollar a également favorisé la baisse des cours, avec un mécanisme inverse de celui observé l’an dernier : quand la devise américaine baissait, les pays producteurs expliquaient vouloir compenser le manque à gagner.
La demande des pays émergents, facteur à surveiller
L’attitude des pays émergents tels que la Chine est également à passer en revue : ces cinq dernières années, plus de 40 % de la demande mondiale de pétrole émanait de l’empire du Milieu. Le ralentissement de la croissance pourrait avoir des conséquences sur cette poussée des cours. Certains pays ont d’ores et déjà remis en cause les subventions qu’ils accordaient, le Mali les a purement supprimées, tandis que la Chine a procédé à des relèvements progressifs du prix de l’énergie, et ce dès le printemps dernier. Les pays producteurs, qui facilitent pour la plupart d’entre eux l’accès au pétrole, sont dans le même temps pointés du doigt. Par ailleurs, dans un contexte où les échanges internationaux deviennent plus difficiles, la demande d’or noir devrait en pâtir. De plus, dans la zone OCDE, on a noté une baisse de la consommation à partir du moment où les cours ont dépassé les 130 dollars : des prix élevés exercent une force de dissuasion. La fréquentation des transports en commun a augmenté, et celle des autoroutes baissé, en France, à l’été 2008.
Aujourd’hui, le raffermissement du dollar, le retour au premier plan des mécanismes de l’offre et de la demande, et surtout la crise financière ont permis aux cours du pétrole de retrouver des niveaux de fluctuations davantage en adéquation avec l’actualité, notamment face au conflit au Proche-Orient, qui soutiens les cours. Toutefois, les investissements dans la recherche de nouveaux gisements, déjà affectés par la crise, se retrouvent de nouveau contrariés par la faiblesse des prix actuels – du moins au sens des majors -, ce qui pourrait relancer les doutes quant à la viabilité de cette source d’énergie. Les pays producteurs ont pour leur part annoncé leur volonté de voir les prix remonter entre 70 et 90 dollars, où ils considèrent que l’équilibre est atteint entre leurs besoins et les capacités des consommateurs. L’Opep a procédé a quelques réductions de sa production, pour l’heure infructueuses. Après les excès (+ 150 % entre début 2007 et la mi-2008 !), les paramètres habituels de fixation des prix semblent reprendre le dessus.
La demande de pétrole va reculer en 2009
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande de pétrole brut devrait décliner de 0,6 % cette année, un recul qui intervient après une baisse de 0,3 % en 2008. La Chine, pointée du doigt lors de l’envolée des cours, va enregistrer une croissance de la demande de seulement 1,1 % cette année, soit la plus faible hausse depuis 2001.