Pour produire un kilo de viande, il faut entre trois et sept kilos de céréales: l’occidentalisation progressive des habitudes de consommation des Chinois et des Indiens provoque une modification de la demande inespérée et non-appréhendée par les producteurs. « La population augmente de 60 à 70 millions d’hommes par an, dont la moitié naissent en Chine ou en Inde, . Il y a donc eu une augmentation mécanique de la demande. De plus, avec la hausse du niveau de vie, les gens mangent plus. Si les Indiens augmentent leur ration journalière de 10 grammes de riz par personne et par jour, on arrive à 3,6 millions de tonnes supplémentaires par an », explique à Challenges Guy Coudert, directeur général du Syndicat de la rizerie française
La demande sans cesse croissante en matières premières agricoles provoque donc une pression sur les cours exacerbée par la spéculation et la part prise par les cultures destinées à la production d’énergie. Le rapport de Cyclope, société d’analyse spécialisée dans l’étude des marchés mondiaux des matières premières, en date de cette année pointe du doigt l’explosion de la demande en provenance des pays émergents, au premier rang desquels la Chine et l’Inde dans le cadre de la demande de soja et de blé. Le blé profite d’une situation mondiale particulièrement tendue où la demande est supérieure à l’offre et où les stocks sont au plus bas.
La spéculation ne peut être tenue qu’en partie responsable de la progression fulgurante des cours des matières premières agricoles. Face à la dégringolade des marchés actions entamée à l’été 2007, bon nombre d’investisseurs se sont reportés sur les commodités, mais pas seulement d’ordre alimentaires, comme en témoignent les records successifs des cours du pétrole, tant à New York qu’à Londres pour se baser sur les deux principaux marchés. Cependant, l’ampleur de ces changements est à relativiser au vu du nombre d’actionnaires. Quant à la filière des biocarburants, elle se retrouve mise en accusation face aux « émeutes de la faim » auxquelles le monde assiste depuis plusieurs semaines. « Si l’on veut couvrir 20 % des besoins énergétiques avec des biocarburants, comme cela est prévu, il n’y aura plus rien à manger« , a ainsi récemment indiqué le président du conseil d’administration de Nestlé Peter Brabeck. C’est le subventionnement de ce type de cultures qui est remis en question, mais les objectifs fixés par les politiques ne semblent pas prêts de diminuer pour l’instant. Ainsi, la France maintient son objectif d’arriver à un taux d’incorporation de bioéthanol à l’essence de 7 % à l’horizon 2010.
Sur le plan financier, les groupes industriels agroalimentaires relèvent leurs tarifs. Ils doivent certes couvrir les hausses, mais aussi protéger leurs marges. Danone et Nestlé se concentrent désormais sur les produits à forte valeur ajoutée, dont les augmentations passent plus facilement en raison de leur caractère exclusif ou novateur. Cette course à la différenciation induit de fait des coûts élevés en R&D. Les spécialistes du légume sont cependant obligés de payer jusqu’à 25% plus cher leurs produits de base, pour faire face à la tentation des agriculteurs de verser dans les cultures destinées à la filière énergétique. La croissance escomptée du marché de la semence, destinée à suivre la hausse de la demande, devrait en revanche profiter aux grainetiers ou aux firmes commercialisant des mécanismes destinés à assurer une hausse de la productivité.