La réimplantation de tout ou partie de leur production a le vent en poupe auprès de nombreuses entreprises. Dans un climat économique difficile, le « Made in France » interpelle, tandis que la chasse aux coûts mal estimés s’impose.
Seulement 1,3% des destructions d’emplois auraient été attribuables, en 2010, à des entreprises ayant décidé de délocaliser. Ce chiffre, dévoilé par le cabinet de veille Trendeo, est plus positif pour l’économie que celui relatif à 2009, où 4,1% des suppressions d’emplois émanaient d’un déplacement de la production hors de France. Sans relier ce phénomène à celui des relocalisations, ces données témoignent d’une certaine forme d’attractivité retrouvée du point de vue des industriels.
Car le retour de la production dans l’Hexagone n’est plus une idée irréaliste aux yeux d’un nombre croissant d’entreprises. Même si « pour une entreprise qui revient, une dizaine d’autres quittent le territoire », selon El Mouhoub Mouhoud, professeur à Paris-Dauphine, interrogé par Capital.fr,cette notion était peu ou prou présente, il y a quelques années, dans le débat économique. L’économiste Olivier Bouba-Olga estimait l’an dernier, dans Challenges, que 5% à 10% des firmes ayant choisi de délocaliser finissent par réimplanter tout ou partie de leur production dans leur pays d’origine.
L’économie espérée de coûts est toujours prégnante dans le choix des entreprises de délocaliser, la société de conseil Outsource Professional services l’évaluant en moyenne à 25%. L’effet « pays émergents », qui permettent de combiner bas salaires (jusqu’à 90% inférieurs en Inde) et qualité relativement satisfaisante dans un nombre important de secteurs, s’estompe certes (notamment en raison de l’accroissement des rémunérations dans de nombreux pays, comme en Chine suite à l’affaire Foxconn), mais reste toutefois suffisamment pertinent pour justifier, dans de multiples entreprises, une externalisation ou un déplacement de la production.
Coûts « cachés »
Toutes les variables économiques sont toutefois difficiles à appréhender dans leur globalité, notamment en termes des conséquences d’une qualité inférieure au résultat prévu, des coûts du transport, et de l’impact sur l’image de l’entreprise. En période de crise, le « Made in France » constitue plus que jamais un argument marketing de poids – de nombreux distributeurs s’illustrent actuellement dans ce domaine.
Les retours de marchandises, lorsque celles-ci sont défectueuses, sont notamment plus complexes à opérer lorsque le centre de production se situe à plusieurs milliers de kilomètres. Le passage des ordres et l’optimisation « en direct » des produits, notamment par le biais des centres de R&D, est particulièrement difficile à effectuer, même si les technologies de l’information ont permis d’atténuer les distances. Avant son projet de relocalisation partielle, le métallurgiste vosgien Gantois devait vérifier chaque pièce revenue en France, sur de nombreuses séries, compte tenu des défauts qualitatifs imputés à un sous-traitant roumain.
« Quand il s’agit essentiellement de servir le marché national ou européen, la relocalisation devient plus intéressante », confirme à France 24 Patrick Vincent, responsable à l’Assemblée des chambres de commerce et de l’industrie. Commercialisant principalement ses skis sur le marché français, Rossignol a réimplanté il y a quatre ans une partie de sa production dans les Alpes, le gain de compétitivité espéré n’étant pas probant – la main d’œuvre ne représente que 20% du coût de ses produits. Le bas niveau des salaires tend à moins constituer, en Chine ou en République Tchèque par exemple, un argument qui fait mouche : en effet, plus les firmes se tournent vers un pays donné, plus la qualification de la main d’œuvre pose problème : pour recruter, les rétributions doivent s’apprécier.
Parmi les coûts inhérents à une délocalisation, celui du transport semble insuffisamment intégré dans les décisions des entreprises. Fret, cargos… La logistique s’avère être un des éléments parmi les plus épineux. Les retards de livraison, et le renchérissement des coûts du transport suite aux soubresauts, notamment constatés en 2008, des cours du pétrole, soumettent les firmes à rude épreuve : la question des quantités produites de manière délocalisée est alors posée. Le jeu doit, compte tenu du coût qu’il finit par représenter, en valoir la chandelle.
Plus récente, la question du marketing s’impose comme une variable devenant difficilement contournable pour les entreprises. Avec davantage d’impact que des slogans tels que « Nos emplettes sont nos emplois » (1993), la crise économique a provoqué une prise de conscience sans précédent sur le poids des petites et moyennes entreprises dans l’économie française. Lorsque des firmes particulièrement exposées fermaient des usines ou réduisaient leur production, ce sont leurs fournisseurs qui trinquaient également. Le soutien massif des Etats européens à l’automobile entre dans cette logique. Des primes à la relocalisation sont même apparues.
Lorsqu’elles prennent la décision de réimplanter, du moins en partie, leur production, les entreprises doivent recréer un réseau de sous-traitants (comme elles ont dû le faire lors de leur processus de délocalisation), estimer les avantages qualité-prix et relevant du retour sur investissement, et examiner les aides possibles. L’argument de la production locale est peut-être fort, mais le coût des produits vendus l’emporte, dans le choix du consommateur, dans de nombreux cas.
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